Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/631

Cette page a été validée par deux contributeurs.
625
ATHÈNES ET LA RÉVOLUTION GRECQUE.

À bord, les passagers dormaient encore. Le pont était presque désert. Cinq ou six Grecs seulement, enveloppés de leurs longs cabans à capuchon, étaient silencieusement accoudés sur le bastingage et regardaient grandir dans le lointain les montagnes de leur patrie. En face de nous, les rochers de la côte, entourés d’une vapeur légère, formaient un long feston bleu dont les contours, encore vagues, se dessinaient de minute en minute plus nettement, au fur et à mesure que, derrière leurs cimes, la lumière montait dans le ciel. Ces rochers n’ont rien d’agreste ni de sauvage ; ils s’étagent gracieusement sans confusion, sans déchirures, et offrent à l’œil une suite de lignes harmonieuses, colorées, selon l’éloignement, de teintes plus ou moins foncées. La nature semble avoir taillé avec amour ce pays, qui devait être le berceau des arts. En approchant des rivages de la Grèce, on ne sent pas cependant, comme à la vue des côtes d’Italie, son cœur bondir d’enthousiasme et d’admiration. Tout au contraire, dès que l’on entrevoit les rochers nus de l’Attique et ses montagnes stériles, auxquelles le temps et les hommes n’ont rien laissé que leur coupe merveilleuse, on éprouve une inconcevable tristesse, et ce sentiment, dont on ne se rend pas bien compte, vous accompagne presque partout dans le Péloponèse.

Le navire avançait toujours, et déjà nous pouvions suivre du regard toutes les sinuosités de la côte. À notre gauche, la chaîne de rochers se rompait tout à coup en falaise, et l’on apercevait, à quelque distance dans l’intérieur des terres, une plaine taillée en amphithéâtre dans les montagnes et noyée encore dans la brume du matin. Un mamelon raide, élevé, semblable de loin à une énorme tour, se dressait au milieu de cette plaine et perçait seul le brouillard. Dans cette vallée se trouvait Athènes ; ce mamelon, c’était l’Acropole. Le ciel s’éclairait de plus en plus ; les collines exposées au levant se glacèrent bientôt d’un large reflet rose, et semblèrent se couvrir en un instant de bruyères fleuries ; puis le soleil se leva dans toute sa splendeur orientale. Une heure plus tard, le paquebot doublait un petit promontoire et entrait brusquement dans un bassin circulaire, grand à peu près comme la place Vendôme : nous étions dans le Pirée.

Le Pirée est entouré d’une ceinture de maisons blanches, à toits rouges, à contrevents verts. Les quais sont bordés de pierres de taille et bien construits ; ils étaient peu animés, et les premiers personnages que j’aperçus sur cette terre des grands souvenirs furent, — je ne l’oublierai jamais, — deux promeneurs en habits noirs donnant