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difficulté d’exciter les Sardes au travail, l’impossibilité d’y employer des étrangers, tout tend à prouver que, sans l’action vigoureuse et immédiate du gouvernement même, il ne sera rien tenté de sérieux dans cette voie. Qu’on se persuade bien qu’il suffit de la plus misérable cause pour engendrer ces miasmes délétères qui désolent un village, une vallée, une plaine tout entière. Un filet d’eau qu’on laisse croupir au fond d’un ravin, une mare qu’on néglige de combler, provoquent l’intempérie. Pourquoi la vallée de Maladrossia, vallée pierreuse, sans marais, sans autre cours d’eau qu’un ruisseau stagnant qui se traîne entre des joncs et des iris, pourquoi cette vallée est-elle si malsaine ? Eh ! mon Dieu, les mêmes causes amènent en France les mêmes effets, bien qu’avec une intensité moins grande. Il n’est donc aucune raison sérieuse de désespérer de l’assainissement de la Sardaigne. Les marais du Brouage, l’infecte Mitidja, la plaine de Bone, tous ces terrains noyés où l’écoulement manque aux eaux, tous ces cloaques bourbeux ont leurs fièvres comme la Sardaigne : tous, aussi bien qu’elle, pourraient en être affranchis.

Si l’on veut enfin compléter la régénération commencée heureusement par l’abolition du système féodal, il faut accueillir les inspirations d’une politique plus élevée, plus féconde encore ; il faut songer à réaliser, en faveur des Sardes, les avantages que leur présente l’admirable position géographique de leur île. Les ports de la Méditerranée reprennent aujourd’hui toute leur importance. La Méditerranée, ne l’oublions pas, a sur ses bords de vastes empires qui semblent près de se dissoudre. Qu’on ne prenne pas pour une vie nouvelle quelques contorsions galvaniques communiquées à des cadavres ; tout annonce au contraire l’heure fatale où l’Europe chrétienne devra inévitablement se porter héritière des états musulmans, de Salonique à Andrinople, des bords de l’Eupbrate et du Nil à Trébisonde. Si c’est la guerre qui doit régler le partage entre les puissances collatérales, cette guerre sera avant tout maritime, et le sort du monde pourrait bien se décider encore sur les flots qui ont vu les grandes journées d’Actium et de Lépante. En même temps, le commerce tend à rentrer dans les voies abandonnées depuis quatre siècles. L’Afrique s’est ouverte sous nos pas, et l’Inde franchit déjà les canaux sinueux de la mer Rouge pour aller offrir ses marchandises à Suez et à Cosséïr. Méconnaître la portée de ces grands évènemens, de ces nouvelles tendances commerciales, serait un déplorable aveuglement. Il y a d’immenses bénéfices à espérer pour les ports qui serviront d’entrepôts aux échanges de l’Europe et de l’Asie. Eh bien !