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LA SARDAIGNE.

défiances, avec toutes ses rigueurs, depuis l’époque où régnait la plus inflexible orthodoxie jusqu’à nos jours.

Malgré la surveillance du clergé, les Sardes, on peut le prédire, ne tarderont pas à sortir de leur isolement. Ce sera le commerce qui établira les points de contact entre eux et les autres nations civilisées. Jusqu’ici le commerce est resté presque insignifiant en Sardaigne. Les exportations et les importations y sont ordinairement égales, et si la balance penche, c’est du côté des étrangers, parfois plus qu’ils n’achètent. Pris dans son ensemble, le commerce d’entrée et de sortie détermine un roulement de 14 à 15 millions. Les objets importés sont principalement des bois, des métaux, des cuirs, et des tissus de tout genre : ce dernier article entre pour 4 millions dans le chiffre des importations, et se décompose ainsi : cotons, fils et étoffes, 2,272,000 francs ; toiles, 454,000 francs ; draperies, 1,235,000 francs ; soierie, 401,000 francs. La Sardaigne exporte en retour du blé ou des pâtes préparées à l’italienne pour une valeur de plus de 3 millions ; des vins, pour 1,169,000 francs : du gibier et des fromages, pour plus d’un million ; des poissons salés, de l’huile, du sel, et des peaux de bœufs ou de bêtes fauves.

On ne saurait croire, au surplus, par combien de préjugés le commerce est entravé au sein d’une population qui n’en est pas encore aux premiers rudimens de l’économie politique. Des négocians de Marseille ont eu récemment l’idée d’envoyer chercher des bœufs à Oristano, Porto-Conte et Cagliari, pour les transporter en Algérie. La proximité du marché et le bas prix des bestiaux en Sardaigne devaient rendre cette spéculation très avantageuse ; cependant les profits les plus considérables eussent été sans doute pour les propriétaires des vastes prairies de l’île, et même pour l’île entière, en raison de la circulation de numéraire qui eût été provoquée par ce commerce. Ces considérations touchèrent peu les habitans des villes, effrayés avant tout d’une exportation qui pouvait contribuer à élever les prix sur leurs marchés. Le mécontentement général fut tel, que le gouvernement crut devoir céder au sentiment public en entravant ce commerce lucratif par des droits qui ont eu pour effet de diriger d’un autre côté les spéculations de nos armateurs. Ces appréhensions ridicules ne se produisaient pas pour la première fois. En 1770, quand la flotte russe vint se ravitailler à Cagliari, le vice-roi eut beaucoup de peine à obtenir des paysans qu’ils voulussent bien échanger leurs bestiaux contre de l’argent. Beaucoup de Sardes regardaient de très