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où ils sont reçus dans des familles de la classe moyenne. Employés comme domestiques de confiance à faire les provisions de la maison chaque matin, et à porter le soir une lanterne devant leurs maîtres, à la sortie du théâtre, ces enfans reçoivent, en retour de ces petits services, le logement et la nourriture, et ont en même temps le loisir nécessaire pour étudier et se rendre aux écoles publiques. Le nom de majoli qu’ils portent leur vient d’un capuchon qui termine leur petit caban et ressemble beaucoup par sa forme à la trémie conique des moulins que manœuvre dans chaque ménage le patient molente. C’est, du reste, un costume qu’ils déposent dès qu’ils entrent à l’université. Ils cessent aussi à cette époque des fonctions dont s’accommoderait peu la dignité des études académiques, et se placent alors dans quelque maison particulière où ils remplissent la charge de précepteurs. Malgré ces humbles commencemens, beaucoup de ces majoli ont obtenu un rang élevé dans l’église ou dans la magistrature.

Quoique les sources de l’instruction soient suffisamment nombreuses en Sardaigne, il n’est pas surprenant qu’elles y aient rarement fécondé les esprits. Le peuple y a toujours vécu à l’écart tristement replié sur lui-même. La langue qu’il parle est un idiome particulier dérivé du latin, mais étrangement altéré par l’invasion arabe[1]. Elle a peu de rapport avec les autres dialectes de même origine, et n’est point comprise hors de l’île. Le clergé, chargé de dispenser l’instruction, s’est toujours appliqué à écarter d’un peuple naïf et soumis la contagion des vœux et des idées qui ont vivifié les autres nations européennes. Les présidens de l’Audience royale, chargés spécialement de la censure des pièces de théâtre, ont partagé celle des livres avec les archevêques de Cagliari ; quant à ces prélats à qui la douane doit remettre tous les ouvrages de science ou de littérature pour en autoriser ou suspendre l’introduction, ils semblent, comme Omar, n’avoir connu que deux espèces de livres, les livres inutiles et les livres dangereux. Peu d’ouvrages ont trouvé grace devant leurs yeux. Les bibliothèques de l’île font encore foi de la sévérité de cette censure, qui s’est transmise avec toutes ses

  1. Cette langue a deux dialectes, celui de Cagliari et celui de Logudoro. Plus qu’aucune autre, elle a conservé des expressions et des tournures latines. On a même composé des poésies dans lesquelles on n’a fait entrer que des mots communs à la langue usuelle des Sardes et au vocabulaire latin ; exemple :

    Deus qui cum potentia irresistibile,
    Nos creas et conservas cum amore, etc.