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l’autre, le regidor, de celle de la justice. La terreur causée par le climat éloignait également de leurs domaines la plupart des seigneurs sardes. Ceux d’entre eux qui ne résidaient pas dans les états du continent cherchaient, pendant la plus grande partie de l’année, un refuge contre la terrible intempérie dans les villes épargnées par le fléau ; ils y vivaient renfermés quand les travaux du labourage, des moissons ou des vendanges eussent réclamé leur présence sur leurs terres.

Une très faible partie du sol était la propriété de ceux qui cultivaient. Par le maintien du système féodal, les feudataires avaient conservé, sur la plupart des terrains, dont la jouissance appartenait aux particuliers et aux communes, un droit de redevance qui leur en assurait la propriété directe : d’autres terres étaient allouées à des particuliers par les communes sous des conditions à peu près semblables ; enfin les domaines dont les seigneurs n’avaient point aliénés l’usufruit étaient, comme en Espagne, administrés par des agens subalternes, sur lesquels les barons se reposaient du soin de mettre en culture de vastes terrains qu’ils ne connaissaient bien souvent que par les revenus qu’ils en retiraient. Quelques-uns de ces grands propriétaires daignaient, il est vrai, visiter leurs domaines pendant les mois d’avril ou de mai ; mais ces courtes apparitions étaient bien insuffisantes pour vaincre l’inertie des paysans, opposés par instinct aux améliorations ; car un des traits caractéristiques du paysan sarde est d’avoir en horreur tout ce qui tend à troubler ses habitudes routinières. Une satisfaction intime, un naïf orgueil, qui sont en lui, repoussent l’idée de tout perfectionnement.

Un changement dans l’état de la propriété était d’autant plus désirable, que le fardeau commençait à peser aux privilégiés aussi bien qu’aux paysans. Les hauts-barons, qui apparaissaient à peine une fois l’an sur leurs terres, étaient naturellement fort indifférens à l’exercice de leurs droits féodaux. L’administration de la justice leur semblait onéreuse, et, quand ils le pouvaient, ils préféraient l’impunité d’un délit qui les touchait peu aux charges de la répression. Aussi la justice baronniale laissait-elle beaucoup à désirer. Quant aux prestations de tout genre attachées au droit de suzeraineté, elles ne composaient aux feudataires qu’un revenu modique et incertain. Il y avait donc avantage pour tous à compenser les redevances féodales par une indemnité une fois payée.

Pour comprendre qu’une telle réforme ait pu être si long-temps différée, il faut se rappeler la fermentation qui travailla l’Europe