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LA SARDAIGNE.

Sardaigne sont inconciliables avec les intérêts jaloux des autres provinces ? Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut mesurer l’importance des dernières réformes ; il faut constater l’état politique du pays, et, pour ainsi dire, interroger le présent sur les secrets de l’avenir.

V.

J’ai déjà exposé comment plus de trois siècles se sont écoulés sans amener aucun changement considérable dans le régime social de la Sardaigne. À part quelques mouvemens sans portée, les institutions et les coutumes introduites par la domination aragonaise avaient été aussi religieusement respectées par l’ignorance des habitans que par l’indifférence des souverains. La féodalité existait encore dans l’île, telle qu’elle y avait été réglée par la dernière conquête, avec la juridiction baronniale, civile et criminelle, les corvées pour le labourage gratuit et le transport des grains, avec un grand nombre de prestations en nature ou en numéraire qui avaient survécu à l’aliénation des terres. Cette féodalité (il ne faut pas exagérer la valeur de ce mot) ne consacrait point le servage proprement dit du paysan ; mais par un fermage mal réglé, onéreux, humiliant dans ses conditions, elle le plaçait dans une dépendance absolue du feudataire, et exerçait par cela même la plus funeste influence sur les progrès de l’agriculture. Le paysan sarde n’était point attaché à la glèbe : il naissait libre et pouvait à son gré changer de résidence ; mais, par son séjour sur des terres féodales, il se trouvait soumis, dès l’âge de dix-huit ans, à divers droits seigneuriaux, qui variaient suivant les localités et la teneur des investitures. Récemment encore, il y avait dans l’île trois cent soixante-seize fiefs, avec les titres de principautés, duchés, marquisats, comtés et baronnies. Cent quatre-vingt-huit appartenaient au roi de Sardaigne et aux seigneurs sardes : un égal nombre était en possession de cinq ou six seigneurs espagnols. Le marquis de Quirra en possédait soixante-seize, le marquis de Villasor trente-trois, et le duc de Mandas cinquante-cinq.

Les possesseurs de ces fiefs exerçaient sur leurs vassaux une juridiction de fait. Un droit assez modique, payé en blé ou en orge, servait à l’entretien de la prison baronniale et du geôlier. Les seigneurs espagnols habitant tous la Péninsule, à l’exception du duc de Sotto-Mayor, se faisaient représenter dans l’île par deux agens dont l’un, nommé podataire, était chargé de l’administration du fief ;