Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/612

Cette page a été validée par deux contributeurs.
606
REVUE DES DEUX MONDES.

torieuse de Cagliari, les villageois se soulèvent et prennent les armes. Cette fois l’insurrection a un but : c’est la cause des campagnes contre les villes, des paysans contre les seigneurs, qu’elle se prépare à soutenir. Sassari est pris ; quarante villages se liguent par un acte public, dans lequel ils déclarent qu’ils sont résolus à ne plus reconnaître aucun feudataire, mais qu’ils consentent à traiter du rachat des droits féodaux à des conditions équitables.

Une grande partie de la bourgeoisie et même de la petite noblesse, sollicitée par les intrigues de deux agens français qui se trouvaient à Gênes en ce moment, cédait déjà à l’entraînement des idées révolutionnaires. L’agitation, en se propageant, allait prendre un caractère de libéralisme inquiétant pour la maison de Savoie, quand l’annonce d’un armistice conclu entre l’armée de la république et celle du roi de Sardaigne parvint dans l’île. La mission de l’archevêque de Cagliari à Rome avait aussi été couronnée d’un plein succès. Le cabinet de Turin, éclairé sur ses imprudences, accédait aux demandes des états. Après ces évènemens, il restait peu de prétextes à la rébellion. La foule ameutée se dispersa ; les chefs du mouvement se réfugièrent en France ou en Italie, et cette tentative prématurée n’eut pas d’autre suite.

Sur ces entrefaites, Victor-Amédée III mourut. À peine installé, son successeur, Charles-Emmanuel IV, se vit réduit à déserter ses états du continent, envahis par la république française. La Sardaigne lui était laissée comme par grace, sur la promesse d’y maintenir une stricte neutralité. De Livourne, où les députés sardes vinrent lui renouveler l’assurance de leur entier dévouement, il s’embarqua à bord d’une frégate anglaise, et arriva à Cagliari le 3 mars 1799. Il y fut accueilli avec un enthousiasme impossible à décrire. Le roi de Sardaigne oublia bientôt les promesses de neutralité que la nécessité lui avait arrachées ; sa partialité en faveur de l’Angleterre était d’ailleurs plus que justifiée par le rôle que jouait cette puissance dans la Méditerranée. Ses flottes étaient toujours prêtes à recueillir, à protéger les débris de toutes ces majestés frappées par la foudre républicaine. Il est vrai qu’en retour de ce protectorat, l’Angleterre trouva dans les ports de la Sardaigne et de la Sicile des points d’appui et de ravitaillement pour ses croisières, qui, de Syracuse, de Palerme, d’Azincourt et de Cagliari, ne cessèrent d’observer à la fois toute l’étendue de la Méditerranée.

Charles-Emmanuel conservait la légitime ambition de reconquérir ses états de terre-ferme ; il se laissa attirer sur le continent par des