Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/611

Cette page a été validée par deux contributeurs.
605
LA SARDAIGNE.

une sorte d’antipathie qui tend heureusement à s’affaiblir chaque jour mais qui était encore flagrante il y a un demi-siècle. D’ailleurs la physionomie de ces deux parties de l’île offre quelque chose de tranché qui les distingue, comme si deux races et deux climats s’étaient partagé la Sardaigne. Dans le cap de Sassari, la végétation semble plus active : la campagne, plus riante, est moins brûlée par le soleil ; les habitans, moins bruns que ceux du cap de Cagliari, sont généralement plus grands, plus vifs, plus intelligens, mais en même temps plus vindicatifs et plus turbulens que ces derniers. C’est au nord-est, dans la Gallura, que se sont toujours rencontrés les plus audacieux bandits. En comparant le Campidano jaune et desséché de Cagliari avec les campagnes verdoyantes de Sassari, et ces pâtres de Tempio, au teint vif et clair, avec les paysans cuivrés et trapus du Cap inférieur, on ne peut s’empêcher de reconnaître que dans cette île, libyenne jusqu’à mi-corps, le cap septentrional appartient davantage à l’Europe, le cap méridional à l’Afrique.

Sassari, dont la population est d’environ vingt-deux mille ames, située à un peu plus de neuf milles de Porto-Torrès, dont elle accueillit les habitans quand les incursions des Sarrasins et des Lombards les obligèrent à abandonner le rivage de la mer et à se retirer dans l’intérieur ; Sassari, ancienne république, héritière du siége archiépiscopal et de la primatie de San-Gavino, est depuis le XVe siècle la rivale jalouse de la métropole. Or, pendant que l’insurrection triomphait dans le sud de la Sardaigne, un bruit avidement recueilli courut à Sassari. On y racontait que la capitale insurgée venait d’inviter le gouvernement français à envoyer une escadre pour s’emparer de l’île, dont on était prêt à lui faciliter la conquête. À cette nouvelle, Sassari déclare la ville et le Cap supérieur dégagés de la dépendance du vice-roi, et proclame ouvertement l’intention d’ériger une cour souveraine munie d’une juridiction absolue sur les districts septentrionaux. Les feudataires du Cap supérieur se mettent à la tête de ce mouvement ; mais, dans leur impatience de rassembler les moyens de soutenir une lutte probable, ils augmentent brusquement les taxes et exaspèrent, à force de vexations, le peuple sur lequel ils devraient s’appuyer. Le cap de Sassari renferme plusieurs villages opulens habités par des pâtres enrichis du produit de leurs troupeaux. Ces villages étaient, pour la plupart, des fiefs étrangers aux priviléges des communes, quoique fort importans par leurs revenus et leur population. Poussés à bout par les exigences de la noblesse, excités d’ailleurs par la nouvelle de l’insurrection vic-