Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/609

Cette page a été validée par deux contributeurs.
603
LA SARDAIGNE.

de la côte avaient été obligées de couper leur mâture ; presque toutes les chaloupes étaient perdues : les équipages de deux navires de transport jetés à la côte, avaient été fusillés par les paysans sans que les troupes fissent aucun effort pour les secourir. Un dernier coup de vent venait de décider aussi la perte du Léopard, vaisseau de quatre-vingt canons, qui, pendant l’action, s’était échoué dans la baie de Cagliari en voulant serrer l’ennemi de trop près. Lorsque enfin le temps permit aux vaisseaux mouillés dans la rade de Cagliari d’appareiller pour venir aider l’escadre compromise dans la baie de Quartù, il devint possible d’opérer le rembarquement. L’amiral n’eut pas même la consolation de conserver à la France les îles de Saint-Pierre et de Saint-Antioche, où il avait arboré le pavillon tricolore : la faible garnison qu’il y laissa ne put s’y maintenir que pendant trois mois. Les républicains n’avaient pas été plus heureux au nord de la Sardaigne que devant Cagliari. Dans une attaque à laquelle prit part le jeune Napoléon Bonaparte, nos troupes avaient été contraintes de se retirer en abandonnant une partie de leur artillerie.

Ainsi se termina cette malheureuse expédition. Les dispositions prises par l’amiral Truguet étaient, on ne peut le nier, habiles et vigoureuses. Une terreur panique, facile à comprendre dans une attaque de nuit exécutée avec des troupes dont une partie marchait au feu pour la première fois, frustra seule nos généraux d’un succès qu’ils avaient mérité. Une chose inexplicable, c’est le peu d’effet de la première canonnade dirigée contre la ville ; mais on était loin, en 1793, d’avoir atteint dans le tir du canon cette précision qui a permis récemment à trois frégates de réduire en quelques heures les batteries formidables de Saint-Jean d’Ulloa. Avec une artillerie aussi sûre et d’un effet aussi terrible, il est probable qu’un débarquement n’eut pas même été nécessaire devant Cagliari. Cette ville, bâtie en amphithéâtre, mal défendue par des bastions peu redoutables, n’eût pas été en mesure de résister à la canonnade qu’elle essuya pendant vingt-quatre heures avec tant d’impunité.

Les Sardes, livrés à eux-mêmes, s’étaient bravement défendus : la maison de Savoie leur devait la conservation de la Sardaigne. La retraite des Français porta jusqu’à l’ivresse l’orgueil national ; mais la lutte laissa après elle une sorte d’excitation fiévreuse qui ne pouvait se calmer instantanément. Les sentimens qu’on avait exaltés pour les opposer à l’invasion se manifestèrent avec énergie au sein des états-généraux que le roi avait solennellement consultés, comme pour témoigner sa gratitude à une population héroïque. Envoyés vers