Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/606

Cette page a été validée par deux contributeurs.
600
REVUE DES DEUX MONDES.

Russie pour la cession de la Sardaigne ; mais ce plan fut déjoué par la vigilance des cabinets français et espagnol.

Tel était l’état des choses quand la révolution française éclata. En 1792, la république déclara la guerre au roi de Sardaigne. Nos généraux venaient d’achever la conquête du comté de Nice et de la Savoie, et Victor-Amédée soutenait avec peine une guerre malheureuse pour sauver le Piémont, lorsqu’il fut instruit que la Sardaigne était menacée. Impuissant à la secourir, il dut laisser aux Sardes le soin de leur propre défense. Les forts n’étaient point armés, et il n’y avait, dans l’île que trois bataillons de troupes régulières et une compagnie d’artillerie, distribuée dans les places fortes. Abandonnée à elle-même, la Sardaigne crut son honneur engagé à repousser l’ennemi : l’élan national remplaça avantageusement la direction plus méthodique que l’autorité aurait pu apporter aux préparatifs de défense. Les états-généraux, assemblés spontanément, votèrent la levée de quatre mille volontaires d’infanterie et de six mille cavaliers. Des prières et des processions publiques exaltèrent la population, à laquelle on persuada qu’elle allait combattre pour sa religion et sa nationalité.

Le 21 décembre 1792, la flotte française, commandée par l’amiral Truguet, parut à l’entrée de la baie de Cagliari. Repoussée du golfe par un violent coup de vent, elle se réfugia dans la baie de Palmas. Ce point était le rendez-vous de l’armée navale et de l’armée de terre. L’armée navale y étant arrivée la première, l’amiral fit occuper les îles de Saint-Pierre et de Saint-Antioche, et nos marins, accueillis avec joie par la petite population de Saint-Pierre, toute distincte du peuple sarde et entièrement étrangère à ses préjugés aussi bien qu’à son genre d’enthousiasme, plantèrent dans ces îles l’arbre de la liberté. De là ils lancèrent dans l’île principale des adresses et des proclamations de ce style que les clubs avaient mis à la mode : mais, en présence d’une population étrangère à toutes les idées qui agitaient alors l’Europe, la propagande révolutionnaire resta sans effet, et, pour appliquer à la circonstance une phrase de Danton, on peut dire qu’en Sardaigne les boulets incendiaires de la raison vinrent s’amortir sur les casemates de l’ignorance.

Le 23 janvier, l’escadre qui s’était ainsi annoncée mouilla en vue de Cagliari, mais hors de la portée du canon des forts. L’amiral détacha aussitôt vers la darse un canot parlementaire chargé d’offrir au peuple paix, liberté et fraternité (ce sont les termes de son rap-