Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/605

Cette page a été validée par deux contributeurs.
599
LA SARDAIGNE.

une réforme ; mais il avait reçu la sanction du temps, il était accepté sans murmure, et tant de choses étaient à faire en Sardaigne, que l’activité bienfaisante du souverain pouvait trouver à s’exercer d’une manière efficace sans entrer prématurément dans la voie orageuse des réformes politiques. Ce qui importait avant tout, c’était d’encourager l’agriculture, de rétablir l’ordre dans l’île, et de l’attacher à la maison de Savoie. Un ensemble de mesures parfaitement concertées préparèrent ce triple résultat. Une administration active et vigoureuse délivra le royaume des troupes de bandits qui l’infestaient ; la poste aux lettres fut établie ; des archives fondées pour servir de dépôt à tous les actes et contrats des particuliers donnèrent aux transactions une régularité et une sanction qui leur manquaient. Sous le nom de monts de secours, on institua une banque agricole dont j’exposerai plus bas l’ingénieux mécanisme. Chaque année de ce règne réparateur fut signalée par une institution utile ou un bienfait. En 1744, une jeune noblesse, avide de se signaler, accueillit avec enthousiasme la levée d’un régiment sarde. De toutes les inspirations du souverain, ce fut la plus efficace, parce qu’elle intéressait la vanité nationale. Il est à remarquer que Charles-Emmanuel, désireux de conquérir à sa dynastie l’affection des Sardes, s’efforça toujours de ménager ce sentiment ombrageux qui leur faisait voir d’un œil inquiet l’introduction des étrangers dans l’île. Il eut soin de réserver aux insulaires une juste part dans la distribution des emplois, et ne négligea rien pour calmer une animosité qui devait être plus tard la cause et l’origine des troubles les plus graves.

Quand ce prince mourut, en 1775, la population de l’île s’élevait à quatre cent vingt-six mille ames ; quatre ans après, elle était tombée a trois cent quatre-vingt-douze mille. C’est qu’en effet sa mort et la retraite de son ministre, le comte Bogino, suspendirent bientôt le cours des améliorations. Ce qui froissa le plus les Sardes dans l’administration qui succéda au gouvernement sage et bienveillant de Charles-Emmanuel, ce fut l’invasion des Piémontais dans l’île, où ils vinrent occuper la plupart des fonctions lucratives. Une gestion imprudente autant qu’inhabile remplaça la sage économie du dernier roi. La prodigalité du gouvernement fut telle que, dans l’impuissance d’arrêter l’accroissement du déficit au moyen des sommes produites par la vente des biens des jésuites, par la création d’un papier-monnaie, et autres ressources également précaires, Victor-Amédée III entama, dit-on, les négociations avec l’impératrice de