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ruinée par Tippou, qui voulait attirer le commerce dans ses ports, et rebâtie par les Anglais, à qui ces guerres malencontreuses ont si bien profité. On les retrouve partout où jadis ils se montraient, car entre les navigateurs de tout le littoral de l’Arabie et les peuples des côtes de la presqu’île indienne, il existe d’anciennes relations de famille. Si ces étrangers ne cherchent pas à s’établir sur divers points comme le firent bientôt les nations européennes, du moins ils formèrent des alliances, facilitées par l’invasion mogole et l’introduction de l’islamisme, qui en fut la suite ; ils étaient regardés comme frères par les musulmans de l’Inde. De ces alliances sortirent les familles nombreuses encore de nos jours, nommées labbis sur la côte de Coromandel, et sur celle de Malabar mopilaïs, c’est-à-dire gendres, parce que les Arabes épousèrent des filles indiennes. Les gens de cette race, reconnaissables à leur taille mince et nerveuse, à leur crâne élevé, à leurs longs bras, sont désormais classés parmi les castes de leur patrie nouvelle ; partagés entre deux professions qui rappellent leur origine, ils sont matelots et cardeurs de laine, comme leurs ancêtres furent navigateurs et bergers. La reine de Kananore appartient à une famille de mopilaïs ; commerçante elle-même, elle envoie ses propres navires dans les Détroits et aux Lakedives, dont elle se prétend souveraine ; son petit port, défendu jadis par un fort hollandais, et assez bien abrité au fond d’une jolie baie, reçoit un bon nombre de dows arabes. Les radjas de Kotchin et de Travancore sont dans des conditions toutes différentes. Maître de belles provinces dans lesquelles l’islamisme n’a jamais fait invasion, mais qui compte en revanche un demi-million de chrétiens, le souverain de ce dernier pays, dont le poivre et les bois de construction forment la principale richesse, ouvre aux navigateurs musulmans, comme aux commerçans de l’Europe, la mauvaise rade battue par un ressac continuel et la gracieuse ville d’Allipey ; là, les travaux confiés dans nos ports à des galériens sont exécutés par une demi-douzaine d’éléphans. Le petit prince de Kotchin, dépouillé de tout ce qui forme aujourd’hui le Travancore, conserve la ville d’où le territoire tire son nom, située sur une charmante rivière dans laquelle se mirent encore les ruines de la forteresse portugaise. Là, les Arabes et les marins du golfe Persique trouvent en abondance et chargent avec facilité les principaux produits qu’ils viennent chercher dans l’Inde : le riz, les toiles à voile, la résine, les cordages faits avec la bourre du coco (coir), les câbles flexibles qui s’allongent au lieu de se rompre quand le navire est battu par la tempête ; l’huile