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Est-ce à cause de ces difficultés réelles que les femmes, dont la plume, dans les siècles précédens, s’était essayée sur tant de sujets, n’avaient pas, jusqu’à notre époque, abordé directement la morale proprement dite ? Est-ce la crainte de ne pas réussir qui les avait retenues ? Pourtant elles se font assez volontiers illusion sur leurs chances de succès, et elles se sont souvent livrées à des tentatives plus difficiles pour elles et autrement dangereuses. Quoi qu’il en soit, ce n’est que depuis un demi-siècle environ que les femmes ont pris droit de bourgeoisie dans ce royaume de la morale, dont elles avaient long-temps côtoyé les frontières sans les franchir définitivement. C’est récemment qu’elles se sont naturalisées dans ce pays fertile où pourtant bien des champs sont encore incultes dans ces belles plaines fécondes où plus d’un sillon, ingrat sous la main de l’homme, cultivé de leurs mains, peut se couvrir d’une riche moisson. Quelquefois, il est vrai, elles avaient fait acte de présence dans ces parages, mais sans suite, sans ensemble, au hasard ; elles y étaient venues en touristes et non en colons, et ces excursions rapides, suivies d’une retraite si prompte, n’annonçaient point des projets de conquête.

Pour réussir en toute chose, surtout dans les œuvres de l’intelligence, il faut la vocation. — La vocation est à l’esprit humain ce que la vapeur est à la locomotive, c’est la force motrice. Prétendre suppléer à la vocation par le travail, c’est vouloir se passer de la vapeur et traîner la machine à force de bras. Le succès ne couronne pas de pareilles tentatives ; la fortune n’aime pas cette sorte d’audace ; Lorsque les femmes, poussées par une curiosité trop vive, n’ont pas craint de se jeter à travers la métaphysique et l’érudition, et ont voulu lutter corps à corps avec ces redoutables puissances, qu’est-il arrivé ? Elles ont été vaincues presque sans combat, et comme elles avaient fait violence à leur nature, qu’elles avaient changé leur robe élégante contre le vieil habit de docteur, gênées sous ce déguisement, elles n’ont pas même eu la consolation de tomber avec grace. Elles ont été plus heureuses dans leurs relations avec la morale. Il est vrai que cette province de la littérature leur appartient à meilleur droit que les autres.

Le rôle qui convient le mieux aux femmes est dans la famille. Le foyer domestique est leur vraie patrie ; la vie publique est pour elles une sorte de terre étrangère. C’est dans la vie privée qu’elles possèdent tous leurs avantages. Sur ce théâtre, étroit en apparence, mais vaste en réalité, car il s’agrandit toujours en proportion des