Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/579

Cette page a été validée par deux contributeurs.
573
LA MARINE DES ARABES ET DES HINDOUS.

chaque soir ; les capitaines ne se doutent même pas de l’existence de la belle carte dressée par le brick de guerre Euphrate de la marine anglaise, et ils suivent tranquillement ces côtes sévères bordées de montagnes aux contours étranges, hérissées de récifs en maints endroits, surtout aux environs de Djiddah. Une grande dose de patience a été départie à ces navigateurs ; pour remonter toute la mer Rouge contre mousson, il ne faut pas moins de trois mois, et, dans cette saison, il serait difficile de rencontrer sur ces vagues clapoteuses autre chose que des goélands, des paille-en-queues et quelque rare baleine bondissant autour des îlots[1].

Ces petits navires, la plupart de cent à deux cents tonneaux, sont employés au cabotage sur les deux rives du golfe ; ils fréquentent les ports de l’Abyssinie aussi bien que ceux de l’Yémen, portent au marché d’Aden les provisions que la garnison anglaise ne tire guère des tribus voisines souvent hostiles[2], et reçoivent à leur tour les riches produits que leur déversent les Somaulis. Dans la petite ville de Barbora, qui appartient à ce dernier peuple, essentiellement ami de la paix, adonné à la navigation et au commerce, il se tient chaque année, en janvier et février, une foire considérable, où les marchands noirs de l’Afrique orientale, les Arabes des deux golfes, les caboteurs

  1. Le passage suivant, emprunté à une lettre que M. Antoine d’Abbadie, voyageur français en Abyssinie, adressait à M. Garcin, de l’Institut, donnera parfaitement l’idée de la vie à bord des bâtimens arabes : « On se lève au petit jour ; une heure au moins se passe avant qu’on ait hissé la voile et levé l’ancre. Le pilote prend son poste près de la barre, et c’est un apprenti qui lui rend compte de l’état et de la situation des brisans. Vers midi, on mange du pain de dourah… Le bâtiment est toujours immobile lorsqu’on se réunit pour faire la prière et manger un souper de dattes ou de riz. Comme dans le sein de la tribu, le patron n’a sur son équipage d’autre autorité que celle de la persuasion. Dans une forte bourrasque qui nous atteignit près le Ras-Mohammed, le capitaine, sans se lever ni s’émouvoir, dit : — Frères, il me semble que nous devrions amener la voile. — L’équipage ne bougea ni ne répondit, et quand, un quart d’heure après, le vent eut déchiré et enlevé la voile, le pilote se contenta de dire : — Le capitaine avait raison… Dieu est miséricordieux ! »
  2. Vers le 1er  novembre 1839, le jour où commença en Algérie la guerre sainte prêchée par Abd-el-Kader, une guerre sainte éclata aussi à l’extrémité de l’Arabie contre les Anglais. Les cavaliers de la plaine, repoussés avec une perte considérable, étaient encore campés auprès des montagnes le surlendemain de l’attaque, qui avait été vive. Franchissant pendant la nuit la batterie placée sur l’isthme, ils avaient voulu pénétrer jusque dans la ville ; mais les canonniers, avertis par le bruit, eurent le temps de retourner leurs pièces, et, pour regagner la campagne, les Arabes surpris furent obligés d’essuyer à bout portant un feu meurtrier.