Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/578

Cette page a été validée par deux contributeurs.
572
REVUE DES DEUX MONDES.

deux golfes, dans un commerce qui se faisait presque tout par les navires arabes, et ce fut cet état de choses que troubla l’arrivée des Portugais au-delà du cap des Tempêtes, que détruisit pour quelque temps Albuquerque, en abattant toutes les forteresses, en brûlant toutes les flottes qu’il rencontra autour de ce vaste bassin. D’un si glorieux passé, les Portugais de Goa n’ont pu conserver que ce qui reste à un fidalgo ruiné, les portraits de leurs ancêtres, de ces hommes de fer, infatigables et inflexibles, parce qu’ils vengeaient non-seulement leur patrie, mais encore l’Europe méridionale des humiliations et des maux que les mahométans leur avaient fait souffrir. Aujourd’hui qu’une compagnie de marchands gouverne ou domine à son gré une partie de l’Asie, il est tout naturel que le commerce arabe ait repris paisiblement son cours. On dirait que rien n’a été changé dans les habitudes de ces marins primitifs ; la civilisation les a si peu modifiées, leurs besoins sont si bien restés les mêmes, qu’ils vont aux lieux accoutumés porter et chercher les mêmes produits, du moins en-deçà de Ceylan ; car doubler cette île semble être pour eux le voyage de long cours, et il s’effectue avec des navires d’un plus fort tonnage et de construction moderne.

Lorsque, en arrivant à Suez, vous apercevez dans un même tableau les rocs d’Afrique sombres et désolés, et les dunes de l’Asie dorées par un soleil qui fait miroiter les eaux de la mer Rouge, et danser les deux minarets au-dessus des toits gris, si une caravane de pèlerins turcs, égyptiens, barbaresques, penchés sur leurs chameaux, abrités sous des parasols aux couleurs bariolées, flanqués de carabines allongées, de larges tromblons, de cruches et d’amphores byzantines, vous étourdit subitement d’un cri poussé sur toute la ligne, regardez dans la baie, au large, dans la direction des puits de Moïse : vous verrez un petit pavillon vert flotter à la vergue d’un lourd chébek ; ce bâtiment, destiné à transporter à Djiddah les pèlerins de la Mekke, appartient à l’espèce appelée dow ; c’est le prototype de tous ceux qui sont montés par des équipages arabes, à quelques modifications près. Son arrière élevé s’allonge au-delà du gouvernail comme dans les felouques espagnoles ; trois haubans de chaque côté soutiennent un mât court, pesant, incliné sur la proue, lequel porte une lourde voile latine amarrée sur une vergue massive faite de deux pièces de bois liées ensemble. Cet équipement est tellement simple qu’on y trouve une preuve de la haute antiquité de cette sorte de construction ; la manière de naviguer est également primitive. Comme les bateliers du Nil, les marins de la mer Rouge amènent leur voile