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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

se rendre dans les ports de France, afin d’appuyer les opérations militaires commencées par Richelieu. L’Espagne, qui redoutait le blâme de la cour pontificale et respectait l’opinion de l’univers catholique, ne voulait pas paraître se séparer de la France dans ce duel à mort contre l’hérésie et dans sa lutte contre la Grande-Bretagne, avec laquelle le cabinet de l’Escurial était lui-même en guerre. Mais l’Espagne redoutait encore plus les succès de la France que ceux du protestantisme et cette double préoccupation imposait au gouvernement de Philippe IV une attitude d’hypocrisie et des actes de trahison presque toujours découverts par la pénétration du cardinal.

Le tableau tracé par Richelieu de la grandeur du péril auquel était exposée la monarchie, serait à faire reculer une ame moins fortement trempée que la sienne. Loin de dissimuler aucune des éventualités de l’avenir, il semble se complaire à les étaler ; et à changer en certitudes les plus dangereuses hypothèses. C’est qu’il faut saisir fortement l’esprit du roi et l’opinion de la France, c’est qu’on est désormais trop avancé pour reculer, et qu’il n’y a plus qu’à déployer toutes ses forces et toutes ses ressources. Montrer l’imminence du péril est nécessaire pour mettre en mesure d’en triompher. Il faut saigner à blanc le royaume pour en finir promptement de La Rochelle, ainsi le veut le salut et l’avenir de la France. Prendre La Rochelle ! prendre La Rochelle ! Ceci devient l’idée fixe du ministre ; il vit désormais pour cette seule pensée, il ne respire plus que par elle. À toute heure du jour et de la nuit, tantôt en mer, tantôt debout sur sa glorieuse digue, il semble en proie à cette sorte de délire qui double les forces humaines, et révèle chez les ames supérieures des sens nouveaux et inconnus.

En parcourant les fragmens rassemblés sous la date de 1628 et la volumineuse correspondance manuscrite de la Bibliothèque du roi, vous voyez Richelieu passant tour à tour du rôle de ministre à celui de général, cumulant les plus minutieux détails du service de l’intendance et de la comptabilité avec la direction de toutes les opérations militaires et navales. Deux fois la flotte anglaise apparaît à la vue de la ville affamée, et deux fois elle recule devant la marine improvisée de la France et l’élan d’une armée qui se trempait pour les grandes choses. Tout le mouvement de l’Europe resta comme suspendu pendant une amnée, tant étaient graves les questions qui se vidaient devant ces puissantes murailles ! Enfin la fortune de la France l’emporta, et, en entrant dans La Rochelle par la brèche, la royauté prit véritablement possession du royaume.