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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

tenir avec la Grande-Bretagne une alliance que ses projets contre la cour de Madrid imposaient alors à ce ministre comme une des bases de sa politique, un premier devoir était dicté au gouvernement du roi très chrétien par l’opinion de l’univers catholique.

Il fallait obtenir réparation d’une violation manifeste des traités, et ne pas abandonner une fille de France aux influences protestantes dont on prétendait la contraindre à s’entourer. À cette condition seulement un mariage mixte avait été jugé praticable. Si la France eût reculé sur ce point, elle eût subi dans le monde un immense échec moral. Des redressemens furent réclamés avec une mesure que la violence des passions ne permit ni de comprendre ni d’apprécier. Emporté par le mouvement dont il allait bientôt devenir la triste victime, Buckingham descendit dans l’île de Ré pour tenter la grande croisade protestante à laquelle les réformés conviaient depuis si long-temps le roi d’Angleterre, et une formidable armée navale appareilla des havres britanniques, avec le projet de préparer en France le triomphe des idées politiques et religieuses par lesquelles le sol des trois royaumes était alors si profondément remué. L’incapacité militaire du favori de Charles Ier fit échouer sa tentative contre l’île de Ré, secourue par Richelieu avec une merveilleuse activité ; mais l’intervention de l’Angleterre avait eu sur les réformés son effet habituel. Les forces huguenotes se rassemblaient sur tous les points, et La Rochelle, excitée par la présence de l’ambitieuse mère du duc de Rohan, se préparait à opposer aux armes royales une résistance désespérée.

Ainsi le problème religieux posé depuis un siècle par Luther et Calvin, et le problème social que faisaient naître la chute de la hiérarchie féodale et l’avénement d’une société nouvelle, allaient se résoudre sur une langue de terre en face du vaste Océan, sillonné par les flottes de l’Angleterre et de l’Espagne, spectatrices de cette lutte décisive. Ainsi les forces municipales et les intérêts aristocratiques allaient pour la dernière fois s’unir dans une résistance commune, avant de succomber sous cette suprématie monarchique qui portait dans ses flancs le triomphe de la démocratie moderne. Le XIXe livre des Mémoires de Richelieu s’ouvre par un document d’une haute importance. C’est un exposé de la situation générale de l’Europe au moment où tant d’intérêts allaient se débattre sous les murs de La Rochelle. Dans cette note originairement écrite pour le conseil du roi, le ministre ne dissimule aucun des périls de la situation ; il semble les dominer tous par la fermeté de ses vues et la sé-