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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

en firent à leur tour la cruelle expérience. Bien leur prit d’appartenir à ce sang royal dont Richelieu ne versa jamais une seule goutte dans les plus grands enivremens de sa haine et de sa puissance, tant il resta conséquent jusqu’au bout avec son rôle monarchique ! Bien leur prit de pouvoir s’abriter derrière leur écu fleurdelisé comme derrière un bouclier inviolable !

Quelque beau que fût le sang de Montmorency, il ne jouissait pas d’un si haut privilége. Aristocratique par excellence, il appartenait au cardinal ; c’était en quelque sorte son sang de prédilection. Si Chalais avait espéré gagner, à l’exemple de tant d’autres, un bon gouvernement et une grosse pension en suivant la bannière d’un prince, le comte de Boutteville put bien supposer à son tour qu’un duel sous les beaux marronniers de la place Royale fournirait plus de matière à la conversation des dames que de besogne au bourreau. C’était un furieux duelliste que François de Montmorency-Boutteville. Vingt-deux fois, dit-on, il avait enfreint les édits royaux, et les mémoires du temps racontent qu’unissant la rage du sacrilége à celle du duel, il avait contraint Pongibaut, cadet de la maison du Lude, à se battre avec lui le jour de Pâques, au moment où celui-ci se préparait à monter à la sainte table. Après ces beaux exploits et nombre d’autres vint la grande partie carrée organisée en plein midi, sur la place la plus fréquentée de Paris, entre Boutteville et Deschapelles, son parent, contre le marquis de Beuvron et le comte de Bussy. C’était là sans doute un effroyable attentat contre la société tout entière ; mais des milliers de gentilshommes ne succombaient-ils pas chaque année sous des mœurs plus fortes que les lois ? N’avait-on pas vu naguère le chevalier de Guise, ce bravo de grande maison, assaillir impunément, au sortir du Louvre et jusque sous les yeux de la reine-mère, le marquis de Cœuvres et le baron de Luz, dont la mort fit verser tant de larmes à cette princesse ? Après de si nombreux et si éclatans exemples, il était difficile de s’alarmer, et l’on pouvait laisser les gens de justice grossoyer à l’aise leur papier timbré. Ainsi pensaient Boutteville et Deschapelles, lorsque déjà, dans un sombre appareil, l’échafaud se dressait en Grève. Richelieu resta insensible à la douleur de la plus noble maison du royaume, et les imprudentes supplications du duc d’Orléans en faveur de gentilshommes qui lui étaient dévoués auraient suffi pour décider le ministre à un acte qui servait à la fois sa politique et sa haine[1].

  1. Un long mémoire, écrit par Richelieu lui-même pour déterminer le roi à re-