du service de son maître. Le moyen de s’étonner dès-lors que chez Louis XIII le roi ait toujours triomphé de l’homme, et que le soin de sa sûreté ait fait constamment incliner le monarque vers la seule force monarchique qui existât alors dans son royaume ?
En avançant dans la vie et dans la grandeur, Richelieu avait perdu la souplesse de ses premières années : son joug était devenu dur, son langage hautain, ses exigences croissaient avec son pouvoir. Mais n’était-il pas heureux jusque dans ses entreprises les plus hardies, et d’éclatans succès ne couvraient-ils pas toujours aux yeux du monde les contrariétés personnelles qu’il infligeait à son roi ? S’il le contraignait à changer de confesseur, à rompre des relations innocentes et douces ; s’il surveillait d’un œil jaloux ses actes, ses paroles et jusqu’aux plus intimes secrets de sa vie domestique, combien ne secondait-il pas, par le développement de ses vastes plans, la passion de Louis pour la guerre et sa haine contre la maison d’Autriche ! Combien la politique du cardinal n’avançait-elle pas d’ailleurs cette transformation de la royauté féodale en une royauté de droit divin ; œuvre dangereuse à laquelle la maison de Bourbon et la maison de Stuart se vouaient à cette époque avec une ardeur égale, quoique avec un succès bien différent !
C’est rarement par les petits côtés que se décident les grandes affaires, et la Providence ne permet pas que le développement d’une idée soit arrêté court par un accident. Lorsqu’on étudie la vie de Louis XIII et le ministère de Richelieu, l’existence politique de ce ministre apparaît à chaque instant comme menacée ; il semble qu’elle va dépendre d’une conversation de jeune fille, d’un retour de Louis vers sa mère, d’une manœuvre de favoris, d’un pas de plus fait par Cinq-Mars dans la confiance royale ; on croirait parfois le sort de l’état attaché à un accès de fièvre, à l’issue d’une chasse à Saint-Germain ou au secret d’une nuit conjugale : alors le colosse qui remue l’Europe paraît vaciller lui-même au plus léger souffle de la faveur royale. Pourtant, lorsqu’on pénètre plus profondément dans cette époque, on finit par comprendre que Dieu n’avait pas attaché les destinées d’un peuple aux fils de soie auxquels elles paraissaient suspendues. Une grande lutte était engagée, et Richelieu puisait sa force dans le principe d’ordre intérieur et de nationalité dont il était la personnification formidable. Le roi inclina toujours vers le cardinal par la force même des choses, et ce qui se révèle le plus clairement à quiconque a compulsé les innombrables mémoires laissés