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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Que Louis XIII se rappellât le passé ou qu’il pressentît l’avenir, de sinistres pensées s’offraient à son esprit et légitimaient ses inquiétudes. Une population distincte et ennemie stationnait au cœur de la France, à l’abri de ses forteresses et sous la protection des édits ; l’Espagne et l’empire unissaient leurs forces pour attaquer ses frontières par les armes, la cour par la corruption. Un seul homme, affrontant ces périls d’un front calme et serein, n’hésitait pas à compromettre sa tête dans la sanglante partie engagée entre les princes et la royauté ; il promettait puissance au dedans, grandeur au-dehors, et se portait fort de faire évanouir au pied des Alpes le vieux prestige de la prépondérance espagnole.

Couvert au début de son ministère du sang de Chalais et de celui de Boutteville, implacable vengeur de l’ordre monarchique ébranlé par la révolte, et de l’ordre social compromis par le duel, Richelieu avait mis un abîme entre lui et la haute noblesse ; il s’était fait, par nécessité plus encore que par nature, le champion de toutes les prérogatives royales, l’ardent promoteur de l’unité du pouvoir. Élevé aux affaires par la faveur de Marie de Médicis, il n’avait pas tardé à se trouver séparé de cette princesse par la différence de leurs vues politiques, la reine-mère aspirant à placer en Espagne et dans l’empire le point d’appui que le ministre entendait chercher ailleurs. Devenu le persécuteur acharné de sa bienfaitrice par un concours de circonstances qui assirent son crédit près du roi autant qu’elles compromirent la moralité de son caractère personnel, il avait imposé à la reine, en la rejetant hors de France, un rôle de complicité dans tous les attentats qui menaçaient son fils : il était ainsi devenu le pivot nécessaire de la résistance, la plus haute expression de la force monarchique et nationale luttant contre l’étranger.

Les souvenirs du passé élevaient donc une infranchissable barrière entre lui et Marie, et les attentats réitérés de Gaston contre la personne du cardinal ne laissaient à ce dernier de refuge et d’espérance que dans le triomphe éclatant de la royauté. Haï de la reine-mère, repoussé de la reine régente, abhorré de Monsieur, Richelieu n’existait que par la volonté de Louis XIII. Le roi mort ou détrôné, la tête de Richelieu tombait, malgré la pourpre dont elle était ceinte. Sa perte était la première satisfaction réclamée par les factieux, celle que Marie et Gaston aurait accordée avec le plus d’empressement et de joie. Le soin de sa propre sûreté garantissait donc le dévouement d’un ministre qui ne pouvait entretenir aucune espérance en dehors