Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
FERNAND.

mourut ; presqu’en même temps la révolution de juillet envoyait dans l’exil les seuls protecteurs qu’il vous fût permis d’invoquer. Vous étiez sans amis, sans soutien, sans fortune. Ma mère vous recueillit avec tendresse, et, plus tard, touché de vos graces, non moins que du malheur de votre jeunesse, je vous priai d’accepter mon nom. Vous savez que je ne m’y hasardai qu’en tremblant. Quoique jeune encore, je n’étais plus à l’âge où l’argile dont nous sommes pétris peut se transformer au feu des passions, et recevoir une empreinte nouvelle. Dans la défiance où j’étais de moi-même, je pensai qu’avant de vous enchaîner par des liens éternels, il était de mon devoir de renseigner votre cœur et d’éclairer votre inexpérience. Je ne vous cachai rien de mes goûts, de mes idées, ni de mon caractère ; j’appelai vos réflexions sur ce lien que je vous proposais de nouer ; je vous exposai de quelle façon sérieuse et solennelle j’envisageais le mariage ; loin de songer à séduire votre esprit par des peintures attrayantes, j’essayai de l’effrayer par la gravité des obligations mutuelles ; j’allai même jusqu’à vous exagérer les charges de l’association. Je ne vous montrai pas le bonheur comme une conquête facile ; mais, vous arrêtant au pied de la côte dont il est le couronnement, je vous demandai si vous vous sentiez le courage de vous appuyer sur mon bras pour aller le chercher là-haut. Quand tout fut dit, pour toute réponse vous me tendîtes votre main ; je la pris avec un religieux respect, mêlé d’amour et de reconnaissance, et m’engageai devant Dieu à vous aimer et à vous servir. En votre ame et conscience, ai-je failli à mes engagemens ?

À ces mots, M. de Rouèvres s’interrompit comme pour laisser à sa femme le temps de répondre. Arabelle se tut ; il reprit :

— Vous, cependant, vous m’avez trompé. J’avais fait de vous ma compagne ; vous avez fait de moi votre maître. À la franchise et à la loyauté, vous avez préféré l’hypocrisie et le mensonge ; substituant ainsi aux vertus de l’égalité tous les vices de l’esclavage, vous vous êtes abaissée au plus lâche, au plus vil, au plus honteux des adultères. En revenant sur le passé, à présent que j’en ai la clé, j’y trouve à chaque pas les traces de vos ruses et de vos perfidies ; j’y vois par combien de détours vous avez abusé mon aveugle confiance, et je me demande avec un douloureux étonnement comment deux jeunes cœurs ont pu se soumettre à de si infâmes manœuvres ; je doute ou je m’indigne que l’amour, ce rayon de Dieu, ait pu descendre un seul instant dans cet abîme de basses trahisons. Quoi ! durant des mois entiers, qui sait ? durant des années peut-être, vous