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les postes subalternes du ministère. Newcastle redoutait de donner à l’un de ces deux orateurs la conduite de la chambre des communes. Après de longues intrigues, par lesquelles il les tourna tous deux contre lui, il fut enfin forcé de se décider : il choisit Fox ; et Pitt, quittant le ministère, planta le drapeau de l’opposition contre le duc de Newcastle et sa politique. Les évènemens mirent bientôt le pays tout entier du côté de Pitt ; la France et l’Angleterre s’étaient rencontrées dans l’Amérique du Nord et s’en disputaient la possession. De nombreux conflits envenimèrent leurs prétentions et les rendirent inconciliables : la guerre fut déclarée. Elle commença pour l’Angleterre par des désastres. Le plus humiliant, la prise de Minorque par le duc de Richelieu, réveilla le peuple anglais de sa longue somnolence, comme un coup de foudre, et porta sa colère jusqu’au délire. Les grandes villes, les comtés, envoyèrent au roi des adresses pleines de violence contre le ministère. Newcastle, qui n’avait pas su prévenir les malheurs, qui se sentait incapable de les réparer, trembla devant cette explosion de la colère publique. Pitt, personnellement désagréable au roi, lui fut imposé par la voix populaire ; il devint premier ministre.

Le ministère de Pitt fut une série ininterrompue de magnifiques triomphes. La fortune de l’Angleterre prit le dessus dans le monde entier. Les flottes françaises détruites, nos colonies de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Asie conquises, nos armées même battues sur le continent par les alliés de l’Angleterre, tant d’évènemens qui remplirent à peine trois années et qui ont imprimé des taches ineffaçables au règne de Louis XV, portèrent au comble la gloire de Pitt et l’admiration enthousiaste qu’il inspira à ses compatriotes. « Tout était joie et triomphe, dit M. Macaulay. L’envie et la faction furent forcées de se joindre aux applaudissemens universels. Whigs et tories exaltaient à l’envi le génie de Pitt. On ne parlait pas de ses collègues : on n’y pensait pas. La chambre des communes, la nation, les colonies, nos alliés, nos ennemis, avaient les yeux fixés sur lui seul. C’est que Pitt venait en quelque sorte de révéler l’Angleterre à elle-même. Elle avait travaillé un siècle à conquérir ses institutions, plus d’un demi-siècle à assurer l’établissement dynastique qui affermissait ces institutions sur la base de la royauté consentie. Après l’assoupissement qui suivit ces longs efforts, Pitt lui montra ce qu’elle pouvait faire dans le monde ; il fit passer tout d’un coup et pour toujours dans la politique de l’Angleterre cette ardeur d’esprit, cette intrépidité, cette inflexibilité de caractère, ce patriotisme énergique,