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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

critiques, la royauté était réellement à la merci de ses sujets. Les apels des Tudors furent à la vérité toujours entendus. Souvent la nation y répondit avec un empressement enthousiaste. On en vit un bel exemple pendant que Philippe II faisait les préparatifs de l’Armada. Le gouvernement d’Élisabeth s’adressa au maire de Londres : il lui demanda quelle force la Cité pouvait s’engager à fournir pour la défense du royaume. Le maire et le conseil de ville prièrent la reine de fixer elle-même le contingent qu’elle désirait. On le porte à quinze navires et cinq mille hommes. Les bourgeois de Londres délibèrent, et deux jours après « prient humblement la reine d’accepter comme témoignage de leur loyal et parfait attachement au prince et au pays dix mille hommes et trente navires amplement fournis. » Voyant ses intérêts vivement compris et sagement administrés par ses souverains, le peuple anglais permettait beaucoup au bon plaisir royal. Il ne songeait pas à affaiblir les honneurs qui entouraient la royauté d’un antique prestige. Les malheurs des nobles et des courtisans le touchaient peu : il vit avec indifférence et souvent avec joie les sanglantes péripéties qui terminaient ces hautes et insolentes fortunes. Ce peuple, utilitaire-né et médiocrement inquiet de ses croyances, laissa également la royauté faire des lois religieuses et les imposer par la persécution ; mais sur ses intérêts matériels, on n’eût pas blessé impunément sa susceptibilité ombrageuse. « Il eût été aussi périlleux aux Tudors, dit M. Macaulay, de lui infliger des taxes trop lourdes qu’à un empereur romain de laisser ses prétoriens sans paie. » Henry VIII et Élisabeth eux-mêmes l’auraient éprouvé, s’ils n’avaient reculé à temps devant les premiers signes du mécontentement public.

Les Stuarts, et ce fut leur malheur, ne comprirent pas cette situation ambiguë et délicate de la royauté. Ils confondirent la pompe extérieure du pouvoir avec les réalités de la puissance. L’ascendant que la volonté royale paraissait avoir exercé sous leurs prédécesseurs, lorsque, par un accord tacite qu’il fallait prévoir ou savoir produire, elle coïncidait avec l’intérêt national, ils l’attribuèrent follement, eux, à je ne sais quel droit abstrait, quelle dispensation divine légitimant l’exercice arbitraire d’une prérogative souveraine. Ainsi, la prudence et l’habileté des Tudors avaient éludé le problème des rapports de la couronne avec la nation représentée dans la conduite générale du gouvernement. Le règne de Jacques Ier sembla uniquement consacré à poser et à faire éclater cette redoutable question. « Des ennemis de la liberté qu’a produits l’Angleterre, dit spirituel-