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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

anglaises, si lentes à se rompre aujourd’hui même, malgré les changemens que la grande industrie est venue apporter dans la constitution et dans les intérêts des classes moyennes. De là aussi cette habitude et ce goût du bien-être matériel qui sont entrés si profondément dans la nature du peuple anglais. La prospérité relative de l’Angleterre au moyen-âge excitait l’envie des étrangers. Froissart, qui appelait déjà les Anglais du XIIIe siècle « le plus périlleux peuple qui soit au monde et le plus outrageux, » disait encore avec une surprise naïve : « En ce royaume d’Angleterre, toutes gens, laboureurs et marchands, ont appris de vivre en paix et à mener leurs marchandises paisiblement et les laboureurs labourer. » Durant les guerres des deux Roses, qui firent à l’aristocratie de si cruelles blessures, le vilainage disparut presque complètement ; la situation du peuple continua à s’améliorer. « Selon mon advis, disait un contemporain de ces terribles déchiremens, Commine, entre toutes les seigneuries du monde dont j’ay connaissance où la chose publique est mieux traitée, et où règne moins de violence sur le peuple et où il n’y a nuls édifices abattus, ny démolis pour guerre, c’est l’Angleterre : et tombe le malheur sur ceulx qui font la guerre. » Le peuple anglais était donc bien préparé et devait être un des plus ardens à se lancer dans ces nouveaux espaces que les découvertes du XVIe siècle ouvrirent au développement des richesses ; la politique heureuse des Tudors sut habilement l’y conduire.

Il faut tenir compte de cette préoccupation du bien-être matériel pour comprendre la révolution religieuse accomplie par Henry VIII. « L’histoire de la réformation en Angleterre, comme le remarque M. Macaulay, est pleine de problèmes étranges. » Celui qui paraît le plus extraordinaire, à cette époque surtout, c’est l’énorme puissance du gouvernement en matière de foi, comparée à la faiblesse des partis religieux, c’est-à-dire en réalité du sentiment religieux. Pendant les treize années qui suivent la mort de Henry VIII, l’Angleterre change trois fois de culte. Édouard VI la fait protestante ; elle redevient catholique sous Marie ; Élisabeth la soumet au protestantisme ambigu de l’église établie. Cependant chaque fois on emploie la violence pour plier les consciences rebelles, et aucune secte n’est assez forte pour essayer de conquérir la tolérance par une résistance sérieuse. Quel contraste avec ce qui se passait alors dans le reste de l’Europe, où les populations se montraient si jalouses de leurs croyances, où, après de sanglantes luttes, les églises qui étaient en minorité arrachaient des garanties de sécurité aux cultes dominans ! Chez les au-