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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

le bel esprit à l’adresse de tout le monde, qui a lui-même tant d’esprit s’il faut en croire un mot célèbre, est-il appelé à continuer, de loin ou de près, ces autres feuilles légères qui amusaient les salons de la chronique de leurs scandales, ou allaient porter à de malheureuses petites cours allemandes, toujours tournées vers Paris dans leur détresse et leur ennui, le parfum subtilisé de nos choses littéraires. Mais cette réserve faite, par excès de prudence si l’on veut, quelle autre partie de la littérature nommerait-on où le journal ne soit pas ou insuffisant ou funeste ? Comment réparera-t-il les désastres qui ont suivi sa récente invasion dans le roman ? Ce n’était pas assez de corrompre la conscience du romancier en offrant de nouveaux et plus irritans appâts aux grossiers appétits de l’industrialisme littéraire, en excitant par la facilité du gain cette production hâtive et exagérée qui chasse honteusement les scrupuleuses délicatesses de l’art devant les viles routines du métier ; forcé, par des nécessités matérielles de publicité et de format, de hacher l’intérêt, de tailler, pour ainsi dire, les situations à la mesure exiguë de ses colonnes, ce n’est pas, il semble, le moindre de ses méfaits à l’égard du roman de l’avoir contraint à des difformités de structure qui ne seraient pas tolérées dans la revue, parce qu’elles y seraient trop choquantes. Le journal ne dispute pas davantage la supériorité à la revue dans la critique littéraire. La critique sera spirituelle dans le journal, elle s’y inspirera peut-être de doctrines saines et élevées, elle sera peut-être consciencieuse dans ses arrêts ; oui, mais y trouvera-t-elle, comme dans la revue, assez d’espace pour l’exposition et la discussion des théories littéraires, pour soumettre l’œuvre jugée à une anatomie rigoureuse et complète, en un mot pour justifier l’autorité de ses décisions ? L’avantage de la revue n’est pas moins incontestable dans la littérature politique. La politique est, il est vrai, la partie forte du journal ; il lui doit sa puissance. Cependant, même en politique, l’influence du journal est loin d’être proportionnée à sa véritable valeur, à sa légitime autorité. La presse quotidienne n’est pas savante, parce qu’elle n’a pas le temps d’étudier ; elle réfléchit peu, parce qu’elle a la mémoire et la vue courtes. Lorsque de grands intérêts l’ont habilement conduite, elle a régi quelquefois des situations ; mais il lui arrive bien plus souvent d’être surprise par les évènemens. Que de fois n’a-t-elle pas mérité qu’on lui appliquât la comparaison que Démosthènes faisait des Athéniens avec les barbares novices aux jeux de la palestre, qui paraient gauchement les coups aussitôt après les avoir reçus ! Aussi, maintenant que chez nous les