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ploi. Parmi les pages les plus heureuses, et du milieu de digressions souvent insignifiantes, je voudrais extraire et mettre en relief la description de la chasse, si poétique, si étincelante, avec ses joyeuses fanfares et ses fraîches odeurs de mousse et de fleurs des forêts. M. Heine, après la satire, revient à l’inspiration lyrique, car, il l’a dit lui-même, son poème n’a pas de but :

« Mon poème est un songe d’une nuit d’été ; il est fantasque et sans but, oui, sans but, comme la vie, comme l’amour. N’y cherchez pas de tendances.

« Atta-Troll n’est pas un symbole de la nationalité germanique à la peau si épaisse, et il ne fourre pas sa patte dans les questions du jour.

« Mon héros n’est pas même un ours allemand. Les ours allemands, dit-on, ne veulent plus danser, mais ils ne brisent pas leurs chaînes.

Malgré le ton léger qui domine cette causerie bizarrement interrompue et reprise, il y a donc aussi çà et là une poésie fraîche et charmante comme dans le Songe de Shakspeare ; à côté des allusions dont l’auteur se défend en vain, à côté de cette épitaphe d’Atta-Troll supprimée par la censure, parce qu’elle parodiait trop plaisamment le style du roi de Bavière, il y a des élans lyriques où l’on reconnaît l’accent du poète. M. Heine finit même par déclarer qu’il est le dernier des chanteurs de l’Allemagne, et que ses vers sont la dernière chanson libre et printanière de la poésie romantique, das letzte freie Waldlied der Romantik. Ce dernier mot est une confession importante, qui vaut la peine d’être relevée. M. Heine en effet avait débuté en déclarant la guerre à ce que les Allemands appellent l’art romantique, à cette poésie à la fois sereine et mélancolique, et qui demande au christianisme une certaine intelligence mystique de la nature, à cette inspiration enfin dont Novalis nous donne l’idée la plus complète ; il y revient aujourd’hui et demande à être salué comme le dernier de ces doux et libres chanteurs. Pourquoi cela ? parce qu’il a vu l’art abandonné et menacé, parce qu’il a compris le mal que produit la disparition de l’idéalisme. Voilà pourquoi je voudrais que M. Heine s’attachât sérieusement à ce rôle que j’entrevois et que je lui signale. Il y trouverait des occasions heureuses pour son talent, et ne courrait pas le risque de l’affaiblir et de le perdre dans les petites choses, comme on a pu le lui reprocher. Qu’il mette donc de plus en plus son esprit, sa verve, au service du bon sens et de la vérité. Il a attaqué la poésie trop extérieure de M. Freiligrath ; il s’est moqué de tous les tribuns qui ajustent des rimes à leurs dis-