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plus doux des cadavres ; comme une fleur fanée elle-même, les joues encore légèrement colorées, elle repose près de ses sœurs fanées, dont les esprits l’ont tuée.

On a dû le voir par quelques-unes de nos citations, l’Orient tel que M. Freiligrath aime à le peindre, ce n’est pas seulement celui que M. Victor Hugo a chanté. Celui-là est trop classique pour lui, il veut l’Orient dans ses détails, et si sa muse n’y peut trouver assez de curiosités singulières, assez de rimes bizarres, elle ira dans la Nouvelle-Hollande, à Java et à Sumatra ; elle s’enfoncera dans les plaines du centre de l’Afrique, de Tombouctou à Madagascar. Les dromadaires, les girafes, les crocodiles, des troupeaux d’éléphans et de panthères, seront partout sur son chemin. Elle recherchera les contrastes, les singularités. À côté des scènes du désert, vous trouverez quelque intérieur bizarre et volontiers burlesque ; vous quitterez les sombres solitudes pour des musées japonais ou chinois. Le piquant se mêlera à toutes les fantaisies du poète, et, comme dernier trait essentiel, ce qu’il peut y avoir de sérieux dans certaines pièces n’arrivera jamais que pour mieux aiguiser la coquetterie de l’ensemble.

Le recueil des poésies de M. Freiligrath se termine par des traductions de poètes anglais et français, et en même temps qu’il trahit par là les préférences d’une imagination assez peu allemande, il nous indique aussi le jeu qui plaît à sa muse. Quand nous voyons sa plume tentée par ce qu’il y a de plus difficile, quand il lutte de précision et de finesse avec les poètes qu’il traduit, avec les plus sveltes pièces de M. de Musset, avec quelques poèmes de Coleridge, de Charles Lamb et de Robert Southey, il nous découvre lui-même le côté le plus vrai de son talent, cette dextérité dans la forme, cette souplesse, cette habileté avec laquelle il sait maîtriser la langue et la façonner comme il veut.

Toutefois, ces éloges, que j’ai accordés presque uniquement à l’habileté infinie du style, contiennent une condamnation de cette poésie trop extérieure. Ce monde des formes et des couleurs est bien vite épuisé ; il n’y a que l’ame et la pensée, il n’y a que le domaine des esprits qui se renouvelle éternellement. M. Freiligrath a été accueilli dans son pays avec beaucoup d’empressement et de sympathie ; mais je l’ai dit déjà, il y avait plus de surprise que de véritable admiration dans le succès de ses vers. Saura-t-il s’élever à une poésie plus haute ? Comme M. Victor Hugo, dont il a suivi les premières traces saura-t-il trouver des richesses nouvelles dans des émotions plus pro-