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la petite pièce intitulée le Fugitif. C’est un cavalier poursuivi par de nombreux ennemis ; seul contre eux, il se défend en fuyant et les perce de ses flèches. Quand ils sont tous renversés, alors il ôte ses gants de fer, mais en même temps il est pris de je ne sais quel ennui profond ; ce repos lui pèse, il crie à ses ennemis de se relever et de recommencer la bataille. Ainsi ai-je dit souvent, s’écrie le poète : Ô mes douleurs ! revenez et combattons ! Dans une pièce sur Roland, il y a aussi plus d’un accent énergique et fier :

« C’était dans un bois ; nous marchions à travers ces ravins où va se cacher la biche blessée, où la lumière ne pénètre qu’à travers les feuilles, où le bruit de la cognée répond au son du cor.

« Autour de nous un profond silence ; on n’entend que la colombe sauvage qui gémit là-haut dans la feuillée, on n’entend que la source qui se brise en murmurant dans les bruyères, et les vieux arbres qui se bercent en rêvant.

« Le hêtre retentit ; le chêne s’agite doucement ; voici le murmure lointain d’une forge et le bruit de mon bâton qui frappe le dur rocher. Tel est le langage des forêts sur la montagne.

« Je l’écoutais avec un frisson intérieur ; dans ma joie se glissa une douce tristesse. Cette voix des rochers, des chênes et des pins faisait vibrer les cordes les plus profondes de mon ame.

« Je pensai à Roland et aux Pyrénées. Oh ! si j’avais été élu pour une destinée pareille ! Une vie de combats, la fuite des Sarrasins, et le cor qui appelle du fond du ravin de la mort !

« Le voici, le combat ! Hardiment je me tiens auprès de mon drapeau. Ma durandal, tirée depuis long-temps hors du fourreau, brille dans ma main. L’ennemi m’assiége matin et soir ; mon cor se tait, ma poésie sommeille !

« Grave, mon cor sommeille et rêve à mes côtés. Il repose et songe tandis que je combats. Seulement, d’instans en instans, pour animer la lutte, sa colère éclate en un cri sauvage.

« Tous mes chants ne sont rien, en vérité, que des fanfares pour m’enhardir et me tenir en haleine. Ce sont des cris sanglans, de sauvages mélodies qui s’échappent avec le souffle de ma poitrine.

« Comment un guerrier penserait-il à autre chose ? L’épée à la main, si tu veux gagner la bataille ! C’est dans tes armes qu’il faut souffler ta colère. Laisse à ta ceinture ton cor d’argent !

« Que celui qui a déjà vaincu entonne le chant de victoire ; toi, fais retentir le fer sur le fer. Des fanfares ? soit ! mais rien qu’un court et hardi signal à jeter dans la vallée !

« Tu ne feras retentir des sons pleins et puissans que lorsque tu auras abattu le sauvage Sarrasin, quand tu auras écrasé ton fier ennemi, là, sur le sol, sous le poids de sa cuirasse.

« Dans un ravin comme Roncevaux ou celui-ci, le géant gît mort à tes