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d’enchaîner vos inclinations et de contrarier vos instincts, je dus vous laisser ignorer l’avenir que nous vous avions préparé en silence. Vous n’avez rien su, je ne vous ai rien dit : vous cependant, depuis votre retour, n’avez-vous pas pénétré mes projets et deviné mes vœux les plus chers ?

— Madame, s’écria M. de Peveney d’une voix déchirante, voulez-vous que je meure de douleur à vos pieds ? Prenez pitié de ma misère ! Ne montrez pas le ciel à un malheureux qui vient peut-être de le perdre à jamais !

— Quel chagrin vous égare ? reprit avec bonté Mme de Mondeberre. Jeune ami, confiez-vous à moi qui suis prête à vous confier ce que j’ai de plus précieux au monde. Voici long-temps que dans mon cœur je vous nomme mon fils. Quand je vous connus, à peine échappiez-vous à l’adolescence, et dès-lors je caressai en vous un espoir confus et lointain. Je vous vis sans effroi quitter nos campagnes : ce départ servait mes desseins. Je savais que vous me reviendriez, éprouvé peut-être, mais partant meilleur. Fernand, vous êtes revenu. Je m’étais alarmée de votre longue absence ; quelle ne fut pas ma joie de vous retrouver digne du trésor que je vous réservais, et d’assister jour par jour à la réalisation de mes espérances ! Vous le voyez, je vais au-devant de vos aveux : c’est une mère qui vous parle ; jugez par-là si je vous aime et si je mérite votre confiance.

— Madame, répondit M. de Peveney avec un sombre désespoir, je serais le plus heureux des hommes si je n’en étais le plus infortuné et le plus misérable. Digne à la fois de l’envie et de la pitié de tous, je porte en moi le ciel et l’enfer, et Dieu m’accable en même temps de ses bienfaits et de ses rigueurs. N’en demandez pas davantage. Je ne sais pas moi-même le destin qui m’attend ; mais, quel qu’il soit, croyez, madame, que, tant que je vivrai, votre image et votre souvenir rempliront tout entier mon cœur.

À ces mots, il sauta sur son cheval et partit. Qu’allait-il faire ? Sa tête était comme une arène où mille projets en lutte se détruisaient les uns les autres. Il pressait avec rage les flancs de son cheval, dans l’espoir de se briser le crâne contre les arbres du chemin. Une fois seul et libre de toute contrainte, il s’était abandonné sans frein aux mouvemens impétueux de son ame. Pâle, les yeux ardens et les lèvres tremblantes, à demi plié sur sa selle, on l’eut dit emporté dans l’espace par l’orage de sa colère. Durant le trajet de Mondeberre à Peveney, il comprit la haine et toutes ses fureurs ; dans l’égarement de ses sens déchaînés, il aborda tour à tour la pensée du