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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

autrefois et, abandonnant le domaine de la pensée, elle va se repentir dans le désert. M. Tieck a bien souvent choisi des sujets pareils à celui-ci, mais comme il les transformait ! Que de fines intentions dans les pages légères ! Chez M. Zedlitz, il n’y a rien qui rachète la faiblesse de l’invention. Le style même, n’étant pas soutenu par la pensée, ne gagne rien aux soins particuliers qu’on lui donne ; au contraire, il devient tourmenté, précieux. L’écrivain, pour relever l’insuffisance du fond, est forcé de prêter à la forme toute sorte d’ornemens inutiles, de la parer, de l’ajuster sans cesse, de la ciseler, comme on dit ; rien ne fatigue plus que cette minutieuse coquetterie de tous les instans.

L’affectation et la manière, c’est là ce qu’on doit surtout blâmer dans l’école autrichienne. M. Anastasius Grün, le plus distingué assurément de tous ces jeunes poètes de l’Autriche, n’est pas tout-à-fait exempt de ce défaut. Le style cependant, chez lui, est animé par les idées, par les convictions qu’il exprime avec noblesse, car M. Grün appartient à ce mouvement nouveau qui fait tant de bruit au-delà du Rhin, et nous le retrouverons bientôt dans les rangs de la poésie politique. M. Nicolas Lenau, nous l’avons vu, manque trop souvent aussi de naturel. Pour éviter ce péril, il faut que les poètes se préoccupent davantage de la pensée, il faut qu’ils l’aiment et qu’ils lui soient dévoués. C’est elle qui leur enseignera une langue belle et simple. Il faut aussi mesurer ses forces. Ni trop haut, ni trop bas. Que M. Zedlitz s’efforce de s’élever et de retrouver les inspirations sérieuses qui ont recommandé ses débuts. Pour M. Lenau, au contraire, qu’il renonce à une ambition qui l’a mal conseillé ; son talent n’est pas fait pour les grands sujets. Qu’il revienne aux premiers chants de la muse lyrique, à ces paysages, à ces tableaux des terres lointaines, aux descriptions mélancoliques de la mer et des cieux ; il retrouvera une place qu’il peut rendre honorable encore.

De M. Nicolas Lenau à M. Freiligrath, la transition est naturelle. M. Freiligrath a plus d’un rapport de parenté avec l’auteur de Savonarole ; il lui ressemble par certaines qualités, par l’habileté poétique, par la science de la couleur. Seulement, il a porté plus loin l’aveugle amour de la forme, et avec lui la poésie allemande achève de quitter tout-à-fait ses anciennes traditions. Séparé par M. Heine des pures inspirations de l’école de Souabe, cette poésie marche de plus en plus vers un art tout extérieur, jusqu’à ce qu’elle aille tomber dans le domaine du journalisme, et qu’elle ne soit plus qu’une arme banale pour les luttes de chaque jour. M. Freiligrath, dont le talent