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aux faibles. Les paroles que le poète met dans la bouche de Savonarole sont reproduites avec habileté d’après les sermons italiens que nous a laissés le fougueux prédicateur. Nous y voyons, dès les premiers mots, toute l’Italie du XVe siècle, et cette église devenue païenne, que le pieux dominicain veut ramener dans le chemin de l’Évangile. M. Lenau a quelquefois répété non sans hardiesse les libres paroles avec lesquelles le courageux moine châtiait les papes dissolus, les prêtres athées, les cardinaux sacriléges ; mais quand l’auteur parle en son nom, quand il raconte, quand il place en face de Savonarole les ennemis qui vont engager la lutte avec lui, Alexandre Borgia et les Médicis, son poème n’est plus qu’une froide chronique, sans vie, sans couleur, sans mouvement. Il ne suffit pas de dire en quelques vers très faibles : Savonarole est dangereux pour les Médicis et pour le pape, parce qu’il a signalé leurs péchés ; — il fallait montrer le rôle politique de Savonarole et le parti des pénitens, dont il était le chef, devenu tout-puissant à Florence. La mort de Lorenzo de Médicis a fourni à M. Lenau une scène assez belle ; cette lutte entre le prince mourant et le prêtre qui veut obtenir de lui la liberté de sa patrie a inspiré au poète quelques vers éloquens. Bientôt cependant les évènemens se multiplient, les Français arrivent, Charles VIII est aux portes de Florence, et les Médicis sont abattus : M. Lenau tombe alors au-dessous de son sujet, et toute cette partie est de la dernière médiocrité. Dans la description de la cour effrontée du pape Alexandre VI, dans les détails sur Lucrèce Borgia et ses deux frères, M. Lenau n’a pas su éviter ces grossièretés que je blâmais tout-à-l’heure dans son Faust. Au chant qui suit, l’assassinat du prince de Gandia rappelle un peu trop un récit semblable dans le drame de M. Hugo. Puis, voici la peste, le fléau de Dieu que Savonarole annonçait à l’Italie avec de si menaçantes paroles ; voici Alexandre VI qui se décide à punir le moine de ses courageuses remontrances ; Jérôme est jeté dans une prison et mis à la torture. Là encore, je regrette les vivantes émotions du récit que nous a transmis l’histoire, et je m’impatiente contre cette languissante chronique rimée. Un peu plus loin, la légende reparaît, et M. Lenau se retrouve sur son terrain. Le moine, brisé par la torture, est étendu sur la paille de son cachot ; il rêve qu’il marche avec son père et sa mère, le long d’un bois, dans une prairie divinement éclairée qui est le chemin du paradis ; il entend les chœurs des anges ; ils chantent si doucement, si doucement, que les anciens souvenirs de sa jeunesse, ses joies disparues, ses espérances éteintes, se réveillent et