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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

M. Lenau a trop le caractère d’une légende : ces vers courts, ces strophes toujours égales et d’un ton uniforme, l’accent naïf et paisible du style, pouvaient convenir à quelque douce histoire de sainte, à quelque pieux et mystique récit ; mais la grandeur, l’énergie du sujet y disparaissent trop souvent. Dans le commencement, rien de mieux ; que le livre s’ouvre comme une légende, je l’accorde sans peine ; que le poète, avant de conduire son héros sur cette scène agitée où il périra, nous le montre sous le toit paternel se préparant par la prière, par les visions d’une foi jeune et déjà inspirée, à toutes les saintes passions, à toutes les ardeurs véhémentes d’un réformateur de l’église et d’un chef de parti ; que Jérôme entre au cloître, qu’on le suive au monastère, que M. Lenau raconte avec grace le noviciat du jeune dominicain, qu’il le montre s’oubliant à la prière du soir dans des contemplations sans fin, et les autres novices, malgré la sévérité de la règle qui les rappelle, n’osant troubler ses profondes extases, il y a beaucoup de bonheur et vraiment une certaine beauté dans ce début. Ces détails, ces circonstances présentées habilement, ces peintures familières, sont une charmante introduction aux récits plus dramatiques qui vont suivre, et que nous attendons. Un certain éclat, d’ailleurs, ne manque pas à ces tableaux ; ainsi, dans une prédication de Savonarole :

« Les degrés de l’autel, les niches, la sacristie, l’échafaudage des galeries contre la muraille, tout est rempli par la foule, et le peuple se presse encore.

« Jérôme est monté dans la chaire ; il s’agenouille avec une silencieuse dévotion ; il demande à Dieu sa force pour les paroles qu’il va prononcer.

« Puis le saint homme se lève ; son regard plein de bénédictions se repose sur le peuple, son noble visage est illuminé par la puissance de l’amour et le courage du combat.

« Quand les oiseaux commencent à chanter, quand se lève une belle matinée de printemps, on voit s’éclairer d’abord les cimes de la montagne qui s’élève majestueuse et voisine du ciel.

« Puis, peu à peu, du haut des sommets, descend jusqu’au fond le rayon matinal, jusqu’à ce que la vallée tout entière resplendisse, pleine de clarté et de bonheur dans la lumière du soleil.

« Ainsi, du visage du saint homme, quand il parle tout inspiré à la foule, ainsi descend le pur rayon de lumière qui va briller sur chaque front. »

Ces images sont belles, et on se rappelle que saint Augustin comparait aussi à des montagnes les hommes que Dieu illumine de sa grace, les grands esprits qui transmettent la lumière aux humbles et