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l’état de la pensée poétique dans ce pays. Était-il réservé à ces deux écrivains de retrouver, comme l’école souabe, ces inspirations si fraîches, si bien appropriées au génie allemand, ce rare mélange de grace et de profondeur ? Je ne le pense pas, et ce qui prouve combien l’Allemagne était déjà loin de la poésie de l’école de Souabe, c’est l’accueil bien différent et assez singulier qui fut fait à ces deux poètes. Sans le dire expressément, beaucoup d’esprits aimaient dans Nicolas Lenau une continuation de l’école d’Uhland. On le soutenait pour cette raison surtout ; c’était l’admiration d’un parti plutôt que cet assentiment naturel que commande le talent. Pourquoi cela ? Pourquoi était-il si nécessaire de protéger ainsi un poète de mérite sans doute, mais qui se serait placé dans l’école de Souabe bien loin de M. Gustave Schwab ? Le génie particulier à cette école était-il donc menacé, pour qu’il fallût courir au-devant des nouveaux venus qui semblaient le continuer ? C’était là en effet ce qui était arrivé. Non-seulement les imitateurs de M. Heine avaient porté le trouble dans les lettres, mais cette poésie politique qui occupe aujourd’hui toute seule l’attention des esprits s’annonçait déjà de loin. Mille plumes l’appelaient et la provoquaient. Sous le nom de romantisme, l’école de Souabe était envahie et attaquée de toutes parts, et lorsque M. Nicolas Lenau publia ses premières poésies, on crut que la phalange d’Uhland allait compter un auxiliaire utile dans le jeune poète autrichien. Quant à M. Freiligrath, il fut vanté au contraire dès l’origine par les adversaires de l’école dite romantique, et les Annales de Halle s’efforcèrent de l’opposer à la direction que Uhland et Kerner avaient donnée à la poésie. On voit que l’accueil fait à ces écrivains signalait déjà des changemens considérables survenus dans l’opinion, et, pour donner à ce fait toute son importance, il faut ajouter que M. Lenau et M. Freiligrath, malgré de certains mérites, n’auraient obtenu en tout autre temps qu’une attention médiocre. Ainsi, chose bizarre ! ce qui fait pour nous l’intérêt de ces deux écrivains, c’est presque leur insuffisance, c’est ce contraste entre la valeur contestable de leurs œuvres et l’enthousiasme qu’elles ont excité ; il y a là, en effet, de curieuses révélations sur les différens mouvemens d’idées qui se sont déclarés récemment en Allemagne et qui font éclater en ce moment même de bruyantes émeutes dans le domaine de l’art.

M. Nicolas Lenau se rattache sans doute à l’imitation d’Uhland, mais il n’a pas ce qui donne aux chanteurs de Souabe une originalité si heureuse, une distinction si haute ; il n’a pas cette profondeur vi-