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l’écrivain de chaque jour, qui a trop souvent abusé de ces dons charmans de l’esprit. Il faut bien le dire, c’est depuis que M. Heine écrit à Paris, qu’on l’a vu arrêter le développement régulier de son talent. Dans nos premières relations avec l’Allemagne, il est arrivé souvent que nos écrivains ne nous ont rapporté que ce qu’il y avait de moins bon dans ce pays ; au lieu d’aller au-delà du Rhin, comme les Grecs en Égypte, pour apprendre les secrets des sages, pour recueillir les enseignemens du sanctuaire et transformer toutes ces idées avec la vive clarté de l’esprit athénien, au lieu de nous approprier, à la manière de Platon, les symboles de l’Orient, au lieu de délier, ainsi que Dédale, les pieds des statues égyptiennes, nous n’avons bien souvent rapporté de la Germanie que les ombres et les chimères. L’Allemagne, aujourd’hui, fera-t-elle de même avec nous ? J’espère que non. Certes, il doit y avoir d’utiles échanges entre les peuples, et si nous pouvons emprunter à l’Allemagne ce religieux enthousiasme, cette honnêteté laborieuse, cette ardeur idéaliste, qui la recommandaient autrefois, les écrivains allemands peuvent apprendre chez nous ce bon sens, cette ferme pensée, cette droiture de l’intelligence, qui distinguent l’esprit français. N’est-ce pas à cela que Goethe s’est appliqué toute sa vie ? n’est-ce pas par ses relations avec la France, par son étude attentive de nos écrivains du XVIIIe siècle, qu’il s’est formé une langue admirablement limpide et belle ? n’est-ce pas la prose si vive, si nette, si rapide, de Voltaire et de Montesquieu, qui, transportée en Allemagne et mise au service d’un grand poète, est devenue cet idiome que Goethe seul a parlé au-delà du Rhin ? Voilà un glorieux exemple de ces communications fécondes entre les peuples. M. Heine lui-même avait demandé à la France cette netteté qui manque à son pays, il lui avait emprunté aussi une certaine veine satirique, une vivacité comique, qui auraient pu être une nouveauté pour l’Allemagne, et ouvrir à la poésie des routes fécondes ; mais le journaliste n’a-t-il pas quelquefois gâté ce que le poète avait heureusement découvert ? et le livre de M. Heine sur Louis Boerne ne fait-il pas regretter le spirituel auteur des Bains de Lucques et des Nuits florentines ?

Rien n’est jamais désespéré avec les hommes d’esprit, et je désire que M. Heine puisse voir dans nos avertissemens, dans nos remontrances, un peu rigoureuses peut-être, la plus sincère sympathie pour son talent. C’est surtout en étudiant l’Allemagne que je suis porté à être sévère pour M. Heine. Je n’ai aucune estime, je l’avoue, pour ses imitateurs, pour ce journalisme prétentieux, pour ces affec-