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de la soirée à chercher sur le sable la trace des petits pieds d’Alice, à s’asseoir, çà et là, où elle s’était assise, à baiser les objets qu’avaient touchés ses mains, à recueillir les débris de fleurs qu’elle avait effeuillées en se jouant. Puérilités charmantes ! adorables enfantillages ! malheur à celui dont vous avez cessé d’être l’occupation la plus sérieuse !

Cependant que faisait Arabelle ? Fernand ne se le demandait plus. Bien qu’il n’en fut pas encore arrivé au point d’égoïsme et de philosophie où l’on se débarrasse d’un amour importun sans plus de souci que s’il s’agissait d’un vêtement passé de mode, tel est l’entraînement d’un amour qui commence, et tel est le néant d’un amour qui n’est plus, que ce jeune homme, se jugeant hors de tout danger, s’abandonnait sans remords au charme de sa passion naissante.

Le lendemain, lorsqu’il s’éveilla, le soleil entrait à pleins rayons dans sa chambre. Il se leva, le cœur content et l’esprit joyeux. Il y avait long-temps que la vie ne lui avait paru si légère. Il ouvrit la fenêtre et s’enivra de l’air du matin. Le facteur, en passant, lui remit une lettre de Karl Stein, quelques lignes seulement qui achevèrent de le rassurer. Sur le tantôt, il fit seller un cheval et se rendit à Mondeberre, ainsi qu’il s’y était engagé la veille. Il trouva au château M. et Mme de B… et quelques amis des environs, qui s’y réunissaient chaque année, à pareil jour, pour fêter l’anniversaire de la naissance d’Alice.

Lorsqu’il parut, au trouble de Mlle de Mondeberre, il se sentit le roi de la fête. Jamais la belle enfant n’avait été si belle qu’en ce jour, dans toute la fraîcheur de ses dix-sept ans accomplis. Fernand l’admirait à l’écart. Rien n’est si doux que de voir une jeune et noble créature entourée de chastes hommages, d’être soi-même mêlé à la foule, et de pouvoir se dire : C’est moi qu’à l’insu d’elle-même son cœur, en s’éveillant, a choisi entre tous ; c’est sous le feu voilé de mon regard que ce front se colore d’une aimable rougeur. J’ai donné la vie à cette blanche Galathée ; c’est pour moi seul que ce lis a grandi ; c’est sous mon toit qu’il achèvera de fleurir. — Telles étaient les pensées qu’en secret caressait Fernand, car il osait déjà la saluer dans l’avenir des noms charmans d’amante et d’épouse, lorsqu’il reconnut, s’avançant à travers les arbres du parc, un de ses serviteurs qui semblait le chercher d’un œil inquiet et d’un air mystérieux. M. de Peveney se troubla sans s’expliquer pourquoi.

En cet instant, il était assis près de Mme de Mondeberre, à quel-