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LA SARDAIGNE.

cette nouvelle commune commence à recueillir les fruits de son heureuse inspiration.

Un guide nommé Francesco Coccù, qui nous conduisit au cap Ferrato, était précisément un des premiers colons de Carbonara, condamné à dix ans de galères pour avoir tué un homme sans préméditation. Pauvre Coccù ! C’était un jour de fête, un de ces beaux jours de fêtes méridionales où, sous un chaud soleil, sous la voûte bleue et pure, les danses se mêlent au son de la launedda : Coccù s’était rendu au ballo tondo de Pirri, et là, sans y penser, il avait dans la ronde entrelacé ses doigts à ceux de sa voisine (ce qui n’est permis, à vrai dire, qu’à un mari ou à un fiancé, mais Coccù n’y prenait pas garde). Il était donc tout entier au plaisir du ballo tondo, se démenant, s’agitant, et oubliant ses doigts, quand un jeune homme qui tenait l’autre main de sa jolie voisine (celui-là était son fiancé) lui cria d’une voix altérée par la colère : — Prends garde à ce que tu fais, Coccù, ou tu me le paieras ! — Coccù continuait à danser ; mais, voyant celui qui venait de lui donner cet avis porter la main à son couteau et se précipiter vers lui, il fut plus prompt à dégainer, et le prévint en le jetant mort sur la place. Deux existences perdues en un instant !

L’amour est l’occasion la plus fréquente de ces tristes tragédies. Les Sardes sont en général très jaloux. Rarement, quand ils reçoivent des étrangers, les femmes sont admises à prendre part aux repas. Cependant la meilleure harmonie règne communément dans le ménage. Les cérémonies qui consacrent les fiançailles et les noces prouvent que le Sarde n’a pas encore dépouillé le mariage de toute poésie. Les jours de fête, dans les lieux de réunion, où plus d’un jeune garçon, soyez-en sûr, sent battre discrètement son cœur à l’aspect des belles jeunes filles, vous verrez quelque vieux pâtre cherchant dans cette foule joyeuse une fiancée pour son fils, et répétant tout bas la gracieuse formule usitée pour la demande en mariage : « Vous possédez, compère, une génisse blanche et d’une beauté parfaite. C’est elle que je viens chercher, car elle ferait la gloire de mon troupeau et la consolation de mes vieux ans. » Si flatté qu’il soit de cette proposition, le père de la jeune, fille, pour se conformer aux lois de la bienséance, ne paraîtra pas saisir l’objet de la demande. Il se lèvera, et amenant successivement chacune de ses filles : « Est-ce là ce que vous cherchez ? » dira-t-il ; et il aura soin de n’introduire que la dernière celle dont son hôte est venu demander la main.

Dès que la proposition de mariage est agréée, des cadeaux sont