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les deux extrémités de la Sardaigne, et le premier paquebot se dirigea sur Cagliari.

Ces bateaux à vapeur sont de singuliers agens de propagande. Leur course infatigable efface les distances, sans cesse ils transvasent les populations d’une rive à l’autre, et les assimilent en les mêlant. Un peuple qui communique tous les quinze jours avec le continent ne peut rester long-temps étranger à ses mœurs et à ses institutions. Devenue accessible aux voyageurs les moins entreprenans, la Sardaigne ne tardera pas à perdre le genre d’intérêt qu’elle excite encore. Si l’on veut conserver le souvenir d’une physionomie que les influences extérieures auront altérée avant peu, il y a en quelque sorte urgence d’en prendre une dernière empreinte : c’est là ce qui m’a déterminé à reproduire ici les impressions et les notes que j’ai recueillies en Sardaigne, pendant un séjour de deux années.

I.

La Sardaigne, dont la longueur du nord au sud est de cent quarante-quatre milles géographiques, et la largeur moyenne d’environ soixante milles, n’est séparée de la Corse que par un étroit canal de six milles et demi. Par le nord, elle est à cinquante-trois lieues de Toulon, par le sud, à quarante-deux lieues de Bone et quatre-vingt-quinze d’Alger. Pour constater en peu de mots l’intérêt qui s’attache à la position maritime de la Sardaigne, il suffit de rappeler que cette île commande le plus important des bassins formés par la Méditerranée ; qu’également menaçante sur ses quatre faces, elle semble s’élever entre l’Italie, l’Espagne et l’Afrique, ainsi qu’une immense forteresse, présentant à chaque angle un port comme bastion, obligeant Marseille et Livourne à passer sous ses glacis, et dominant en même temps la grande route commerciale qui vient de Gibraltar et se bifurque à l’entrée du canal de Malte pour aller aboutir à Constantinople et à Alexandrie.

Un hydrographe de l’antiquité classait ainsi les îles de la Méditerranée, d’après leur étendue. « La Sardaigne, disait-il, est la plus considérable, la Sicile vient ensuite. Après elle il faut placer la Crète, Chypre, l’Eubée, la Corse et Lesbos. » La Sardaigne en effet, d’après les calculs du capitaine Smyth, quoique moins riche et moins peuplée que la Sicile, l’emporterait sur elle par son étendue[1]. La su-

  1. Il faut dire cependant que d’autres calculs établissent au contraire un avantage de 22 à 30 myriamètres carrés du côté de la Sicile.