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LA SARDAIGNE.

Une expédition entreprise dans un but scientifique devait nous présenter un attrait que nous n’avions pas espéré, et qui tient au singulier oubli dans lequel a été laissé, depuis des siècles, le pays que nous visitions. La Sardaigne était à peu près inconnue, il y a quelques années. L’étroite ceinture des flots bleus de la mer Tyrrhénienne avait mis plus de distance entre cette île et le continent européen que l’immensité de l’Océan n’en met aujourd’hui entre l’Australie et la Grande-Bretagne. La marine sarde, n’ayant rien à exporter d’une terre appauvrie, se bornait à un petit commerce de cabotage sans cesse menacé par les Barbaresques. Le commerce d’importation était éloigné par des droits excessifs et des prohibitions sans but ; les curieux, ne trouvant point de communications régulièrement établies, reculaient devant des traversées qu’il eût fallu tenter la plupart du temps sur des bateaux peu sûrs. Aussi, après avoir partagé avec la Sicile l’honneur de nourrir le peuple romain, et servi de théâtre aux querelles des républiques italiennes pendant le moyen-âge, cette île était depuis plus de trois cents ans retombée dans un oubli à peu près général, malgré quelques estimables tentatives pour la signaler à l’attention de l’Europe.

En 1798, un écrivain né en Sardaigne, Azuni, jurisconsulte habile accueilli en France sous le directoire, fit paraître sur son pays un essai qui, bien que composé à la hâte, méritait cependant plus de succès qu’il n’en obtint. En 1819, trois autres ouvrages furent publiés sur la Sardaigne, l’Histoire ancienne et moderne de l’île, par M. Mimaut, consul de France à Cagliari, et deux descriptions complètes du pays, l’une par M. William Smyth, capitaine de la marine anglaise, l’autre par M. le comte de La Marmora, qui n’était alors que capitaine d’état-major. De ces trois publications, l’ouvrage de M. le comte de La Marmora, dont la seconde édition a paru en 1839, est sans contredit la plus remarquable. Cet écrivain distingué a su appliquer à l’étude d’un pays où tout était nouveau, où tout était à écrire, des connaissances très étendues et très variées, un jugement plein de netteté, et de profondeur. Mais pendant que ces observateurs étudiaient avec étonnement cette civilisation du XIVe siècle, restée enfouie sous la lave du moyen-âge, il se passait une chose qui allait lui ravir bientôt le charme de son originalité et de sa mystérieuse existence. Un jour, les Sardes aperçurent de leurs rivages une colonne de noire fumée qui s’avançait vers leurs ports. C’était l’Europe qui venait à eux. Un service régulier de bateaux à vapeur avait été organisé par les soins du roi Charles-Albert entre Gênes et