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SAINT-GILES.

« Londres abonde en petites pépinières de légers délits, dirigées par des personnes de tout âge. J’ai eu l’occasion d’interroger plus de cent voleurs de l’âge de huit ans à quatorze, sur les causes qui les avaient engagés dans le vol, et, dans neuf cas sur dix, j’ai trouvé que l’enfant n’avait pas commis son premier crime spontanément, et qu’il avait été entraîné dans cette carrière par des personnes qui professent cette sorte de séduction.

« La plus nombreuse classe de ces séducteurs se compose de voleurs expérimentés, enfans et hommes faits, qui vont à la recherche d’enfans non criminels et leur représentent l’existence du voleur comme une vie de plaisir. En pareil cas, les moyens de séduction ne se bornent pas aux paroles ; on donne à manger à ceux qui ont faim, et quant à ceux qui ne manquent pas de pain, on leur offre toute espèce de jouissances. Un voleur expérimenté dépense souvent dix livres sterling (255 fr.) en quelques jours pour corrompre un jeune garçon, en le menant aux spectacles et en le laissant manger et boire dans les boutiques de pâtisserie ou de fruits, ainsi que dans les cabarets. Lorsque l’enfant, sous l’impression de ces jouissances, témoigne du dégoût pour la vie honnête, on le considère comme préparé à recevoir sans s’alarmer les insinuations de celui qui le séduit.

« Souvent on emploie des moyens de séduction encore plus efficaces, à savoir l’excitation précoce de la passion sexuelle, avec l’aide des femmes associées aux voleurs, et auxquelles on confie généralement le soin de faire comprendre à ces jeunes gens, dans leur ivresse, que le vol est l’unique moyen de continuer sûrement cette vie de débauche. Ce genre de séduction réussit toujours. Pour l’édification de ceux qui pourraient croire que j’exagère les faits, j’ajouterai que la plupart des enfans au-dessus et même au-dessous de douze ans qui sont détenus à Newgate ont eu des relations avec les femmes. On ne peut guère en douter, car ces enfans sont visités journellement par leurs maîtresses, qui se font passer pour leurs sœurs, et leur conversation dans la prison roule le plus souvent sur leurs amours.

Une autre classe de séducteurs se compose d’hommes et de femmes, mais principalement de vieilles femmes qui tiennent des boutiques de fruits et de petits gâteaux, afin de dissimuler leur véritable commerce, qui consiste à déterminer les enfans au vol et à recéler les objets volés par ces enfans. Voici la méthode suivie en pareil cas. Lorsqu’un enfant achète des fruits ou des gâteaux, on lie conversation avec lui pour gagner sa confiance. Il passe un autre jour devant la boutique sans argent, et on l’invite à prendre à crédit.