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est de gagner leur vie en mendiant et en volant. J’ai vu des enfans qui n’avaient pas plus de sept à huit ans, initiés à l’art de fouiller les poches des passans, sous l’inspection de femmes adultes qui paraissaient être leurs mères. Quelquefois les parens ne prennent pas la peine de cette éducation, et ils mettent leurs enfans à la solde de quelque voleur expérimenté. Avant la réforme de la police métropolitaine, des bandes de petits voleurs s’assemblaient régulièrement sur les terrains vagues des faubourgs, et là le recéleur qui soudoyait cette armée de filous venait tous les jours, chargé d’une immense corbeille, leur distribuer publiquement de l’argent et des provisions.

Il se tenait même à Londres des espèces d’écoles professionnelles, des pépinières (nurseries) de filous, où les enfans allaient se former à l’art des Cartouche et des Mandrin. Des voleurs émérites avaient coutume de choisir de jeunes garçons dont ils formaient une bande pour agir sous leur direction, et auxquels ils donnaient des leçons matin et soir. « Depuis l’établissement de la nouvelle police, dit le rapport on constabulary force, ce système ne se pratique plus avec régularité. De temps en temps, lorsqu’un vieux voleur se trouve au rendez-vous des jeunes, ceux-ci s’exerçant entre eux pour montrer leur adresse, l’ancien les reprend s’ils viennent à se tromper, mais il ne cherche pas à exciter leur émulation par des récompenses. C’est là, d’ailleurs, un exercice accidentel et qui n’a guère lieu qu’une fois en huit jours. »

Suivant le rapport auquel j’ai déjà emprunté plusieurs citations, les jeunes délinquans débutent généralement, à Londres comme à Paris, par dérober aux étalages des fruits ou de la viande. Plus tard, ils s’enhardissent et volent des marchandises de peu de prix, qu’ils vendent ensuite pour quelques pence aux recéleuses irlandaises de Saint-Giles ou de Holborn ; le produit est dépensé en friandises et en sucreries. Dans les enquêtes antérieures à 1830, on considère les petits théâtres comme l’occasion première de cette dépravation. Les enfans s’y rendent par centaines, attirés par le bas prix d’un spectacle dont ils jouissent souvent pour deux sous ; puis, n’osant plus rentrer chez leurs parens à une heure aussi avancée, ils passent la nuit pêle-mêle dans les marchés, où ils vivent d’écorces d’oranges et autres débris. La description la plus complète et la plus exacte des procédés au moyen desquels tant d’enfans sont détournés de la famille et de la société, se trouve dans une brochure publiée en 1831 par un observateur très intelligent qui se trouvait alors renfermé à Newgate, M. Gibbon Wakefield. C’est lui que je vais laisser parler.