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FERNAND.

pensée les noms d’Alice et d’Arabelle ? Parerai-je un amour naissant des dépouilles d’un amour évanoui ? Ah ! laissons-la germer en silence, cette fleur du véritable amour ; enveloppons-la d’ombre et de mystère ; craignons de la flétrir même en la regardant !

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Le temps presse. Je t’écrirai demain ; aujourd’hui rien qu’un mot. Fernand, tu n’as pas un jour, pas une heure, pas un instant à perdre. Il y va de plus que ta vie. Après avoir lu ces lignes, écris à Mme de Rouèvres. Écris-lui que tout est fini, sans rémission, sans appel, irrévocablement fini. Sois franc, sois ferme, sois brutal ; plus de pitié, point d’attendrissement. Qu’il n’y ait pas dans ta lettre un terme ambigu, une phrase équivoque, pas un brin d’herbe où se rattache l’espérance. Que ce soit comme un coup de hache assené par un bras vigoureux. Porte toi-même cette lettre à la poste ; assure-toi qu’elle partira par le plus prochain courrier. Malheureux, que ne peux-tu lui coudre des ailes ! Fais ce que je te dis, aveuglément, sans hésiter, sans demander pourquoi. Cela fait, sois prêt à tout, et tiens-toi prudemment sur tes gardes.

FERNAND DE PEVENEY À MADAME DE ROUÈVRES.

Mes lettres vous offensent, mon silence vous blesse ; quoi que je puisse faire, je ne réussis qu’à vous irriter. Vous avez raison, le rôle que je joue est indigne de vous et de moi, et, quoi qu’il m’en coûte, j’aime mieux déchirer votre cœur que de le tromper. Arabelle, en partant, je vous ai dit un éternel adieu. Ne pensez pas que ce sacrifice ne m’ait point demandé d’effort, ni que je m’y résigne aisément. Je gémis autant que vous de la nécessité qui nous sépare ; à cette heure encore, si je croyais pouvoir quelque chose pour votre bonheur, j’oublierais que vous ne pouvez rien désormais pour le mien. Mais le bonheur est un échange, et qui ne reçoit rien ne rend rien. Rappelez-vous les luttes et les agitations au milieu desquelles nous venons de vivre : je sentirais en moi le courage de recommencer une pareille vie que j’y renoncerais encore, ne voulant plus, ne devant point vouloir d’un jeu funeste où je ne saurais risquer ma destinée sans compromettre en même temps la vôtre. J’avais compté sur l’ab-