Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
REVUE DES DEUX MONDES.

avec des contradictions qu’il n’attendait pas, secondement parce qu’il remarquait que la confiance de la reine penchait de mon côté, troisièmement par les mauvais offices de Russeley, qui n’omettait aucun artifice pour m’abattre, et Barbin[1]. »

Après le mariage du roi, Concini, ayant grand intérêt à recevoir des renseignemens exacts sur l’état intérieur de la Cour d’Espagne, avait songé à l’évêque de Luçon pour cette importante ambassade. Celui-ci embrassa avec ardeur une telle perspective comme un premier pas vers les grandes affaires et vers l’intimité de deux maisons royales ; mais, après l’emprisonnement du prince de Condé et le pillage de l’hôtel d’Ancre, le maréchal et la régente jugèrent utile de renouveler le conseil, et de n’y admettre que des hommes d’un dévouement absolu à leur pensée politique. À ce titre, ils songèrent à Richelieu pour exercer la charge de secrétaire d’état conjointement avec le vieux Villeroy, auquel cinquante années de services sous trois règnes avaient ôté l’énergie que des circonstances aussi difficiles semblaient rendre nécessaire. Associé à Mangot et à Barbin, humbles créatures de Marie de Médicis, soumis au maréchal sans l’estimer et sans l’aimer, Richelieu ne fut dans ce cabinet qu’un instrument docile et secondaire. Le seul acte de volonté personnelle dont il soit possible de recueillir la trace pendant ce ministère, interrompu bientôt après par l’assassinat de son chef, s’applique aux intérêts directs du prélat. Richelieu raconte qu’aussitôt après sa nomination à la charge de secrétaire d’état, à laquelle le maréchal attacha avec intention des gages considérables, celui-ci le pressa vivement de se défaire de son évêché, afin de le tenir dans une plus étroite dépendance ; « mais, considérant les changemens qui pouvaient arriver, tant par l’humeur changeante du personnage que par les accidens qui pouvaient arriver à sa fortune, jamais je n’y voulus consentir, ce dont il eut mécontentement sans raison. » On voit que ses premiers succès n’enivraient pas le jeune ministre, qu’il se refusait à jouer trop gros jeu, et faisait marcher de front la prudence et l’ambition. À cet égard, les preuves ne manqueront pas.

Des nuages s’élevèrent, aux derniers mois de la vie du maréchal d’Ancre, entre lui et le nouveau secrétaire d’état : c’est chose facile que de juger, au ton de ses Mémoires, que celui-ci prévoyait la catastrophe et prenait de loin ses mesures du côté des princes et des frères de Luynes pour n’être pas enveloppé dans la disgrace, tôt ou

  1. Mémoires de Richelieu, liv. VIII.