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pour amortir les ambitions, procédé presque toujours infaillible dans les temps de faction, parce que ceux-ci corrompent encore plus qu’ils n’exaltent.

Le comte de Soissons renonça le premier à ses prétentions pour une somme immense reçue comptant, avec l’engagement d’une pension de 50,000 écus, ayant soin de se réserver le gouvernement de Normandie pour lui-même, et la survivance du gouvernement du Dauphiné pour son fils. Le prince de Condé ne voulut pas manquer une aussi belle occasion de rétablir ses affaires et de payer ses créanciers. En apprenant ce que sa condescendance avait rapporté au comte de Soissons, il n’hésita pas à s’assurer par une vague adhésion une large part dans les pistoles accumulées aux caves de la Bastille par les soins du surintendant Sully. Renonçant donc pour le moment à contester en droit la régence, sous la condition qu’il serait considéré comme le chef effectif du gouvernement, le premier prince du sang obtint pour prix de cette habile temporisation 200,000 livres de pension, la propriété du bel hôtel de Gondi à Paris et du comté de Clermont, avec force gratifications pour ses créatures. Il fallait, en effet, beaucoup d’argent à ce prince ; car ne l’avait-on pas vu, pour intimider la régente et obtenir de meilleures conditions, faire une entrée menaçante dans Paris, accompagné de plus de quinze cents gentilshommes de sa maison ? Des pratiques analogues furent employées près de la plupart des grands seigneurs et le relâchement général des mœurs en rendit le succès facile. Ce fut ainsi qu’en dilapidant en quelques jours les trésors accumulés pendant le cours du précédent règne, on acheta deux années d’une neutralité douteuse, et que la régence put se constituer sous le bon plaisir des princes et des grands, dont la double pensée consistait à la rançonner et à l’avilir.

Renverser le ministère du feu roi, éloigner les prudens conseillers qui gardaient encore les traditions respectées du grand règne, tel était le premier but à atteindre par les basses ambitions qui aspiraient à l’exploitation du royaume. Les mécontens y parvinrent en unissant pour quelque temps leurs intérêts à ceux du favori italien destiné à dépasser bientôt, par la profondeur de sa chute, la hauteur inespérée de sa fortune. Chasser ou tuer les membres du conseil, faire appuyer ce mouvement par un corps d’armée commandé par Lesdiguières, tel fut le premier plan délibéré entre Concini et les seigneurs qui peu après devaient faire promener dans Paris les lambeaux de son corps déchiré. Cet homme, devenu maréchal et mar-