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REVUE DES DEUX MONDES.

vu passer hier Mlle de Mondeberre à cheval ; qu’elle était belle, gracieuse et charmante avec sa jupe d’amazone et ses blonds cheveux au vent ! on eût dit une jeune guerrière. Qu’ai-je donc aujourd’hui, et d’où vient à mon cœur la douce ivresse qui l’inonde ? Abîme, abîme mystérieux !

KARL STEIN À FERNAND DE PEVENEY.

Pardieu ! je te trouve plaisant avec tes mystérieux abîmes. En tout ceci, je n’aperçois ni plus d’abîmes que sur ma main, ni plus de mystères que d’étoiles en plein midi. Tu aimes Mlle de Mondeberre. Eh bien ! mon cher garçon, je n’y vois pas grand mal. Elle est jeune, elle est belle ; tu es jeune encore, et, nous pouvons le dire, passablement tourné. Vos propriétés se touchent : les armoiries de Peveney écartelées de Mondeberre ne feront point mal sur un écusson. Si vous vous aimez, il faut vous marier, mes enfans. Et pourquoi pas, Fernand ? Ce n’est pas moi qui t’en voudrais blâmer. La famille, à tout prendre, est une bonne chose, et je ne sache pas que nos socialistes modernes aient rien imaginé de mieux. J’ai long-temps réfléchi sur tes goûts et sur ton caractère : je te dois cette justice, qu’au milieu même de tes plus grands écarts, j’ai toujours reconnu en toi une ame amie de l’ordre et du devoir. Je te crois né pour le mariage, et j’ai la conviction que, si ton choix est bon, tu goûteras en cet état, le seul convenable en ce monde, tout le bonheur qu’il est permis de goûter ici-bas. Je me réjouis donc de te voir rôder, peut-être à ton insu, autour de la vraie destinée de l’homme ; je te sens près de trouver ta voie. Seulement, ne te hâte pas ; que ton cœur se repose encore ; avant de l’offrir et de le donner, laisse-lui le temps de s’épurer et de refleurir ; qu’il soit digne de l’enfant qui l’aura su charmer. Et puis, Fernand, puisqu’il en est ainsi, tu dois à Mme de Rouèvres, tu dois surtout à Mlle de Mondeberre d’en finir, sans plus attendre, courageusement et loyalement avec le passé. N’outrage ni tes souvenirs ni tes espérances. Que Mme de Rouèvres ne puisse jamais supposer que tu l’as délaissée pour former de nouveaux liens ; qu’elle ait du moins, dans son abandon, la consolation de se dire que tu ne l’as point sacrifiée à une rivale plus belle et plus jeune, mais que ton amour a cessé parce que tout finit sur la terre. D’une autre part, que Mlle de Mondeberre ne puisse jamais soupçonner que ton amour pour elle a germé dans les cendres encore tièdes d’un