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REVUE. — CHRONIQUE.

rique du prétendant était fait un peu aux dépens de son aïeul, le roi Charles X, mais on a fermé les yeux là-dessus. On a bien aussi trouvé singulier que le parti qui se défendait avec tant d’horreur de vouloir jamais accepter une intervention étrangère, montrât tant de gratitude pour l’offre d’une brigade irlandaise, et qu’O’Connell offrît aux autres une coopération dont il ne voulait pas lui-même ; mais il est avec la Gazette des accommodemens, et l’ancienne constitution française, que la fameuse brigade devait apporter dans ses bagages, lui a servi de lettres de naturalisation.

M. O’Connell a dû regretter depuis lors cette sortie malheureuse, et reconnaître qu’il avait été injuste envers la France, car cette dissension passagère n’a point altéré les sympathies que la cause de l’Irlande rencontre universellement dans notre pays. Depuis quelques jours, les affaires du rappel ont pris subitement une face nouvelle. Le gouvernement anglais s’est décidé à sortir de sa longue réserve, et a fait un soudain déploiement de forces. Les dernières mesures prises par O’Connell étaient un empiètement trop direct sur la prérogative royale pour qu’elles pussent être tolérées sans danger. Aussi la détermination du gouvernement se trahissait-elle depuis quelque temps par des signes qui n’échappaient pas à O’Connell lui-même. Il s’y préparait ; il attendait l’attaque, sans savoir à quel moment elle serait faite. Sa résolution, à lui aussi, était bien prise. Qu’il eût jamais eu la pensée de repousser la force par la force, c’est ce qu’il serait déraisonnable de croire. Les défis multipliés qu’il avait lancés au gouvernement avaient pu tromper là-dessus ses auditeurs, mais ne l’avaient pas trompé lui-même. Seulement, il jouait gros jeu en risquant d’être cru trop aveuglément, et ce n’est pas sans raison qu’il a dit que dimanche il avait passé une journée affreuse en songeant que peut-être il n’aurait pas le pouvoir de prévenir une collision.

On a dit que le gouvernement anglais rendait un véritable service à O’Connell en l’arrêtant dans sa marche, car il ne savait plus comment s’arrêter lui-même. Il est certain, en effet, qu’il était à bout de ses voies et moyens, et qu’il se trouvait très embarrassé de sa position. Il a maintenant une raison pour se tenir tranquille, il est probable qu’il en profitera. Il usera de toutes les ressources fécondes de son esprit pour éluder la loi, mais dès qu’il la rencontrera devant lui, il s’arrêtera. Il sait mieux que personne que le gouvernement, une fois entré dans la voie de la répression, ne peut plus reculer. On parle déjà de poursuites judiciaires dont O’Connell et ses principaux adhérens seraient l’objet. Nous croyons cependant que le gouvernement n’en viendra là qu’à la dernière extrémité, car il aurait lui-même, dans ce cas, des chances à courir. Si un jury acquittait O’Connell, ce serait un échec grave qui pourrait donner une nouvelle force à l’agitation. Au fond, il est probable que ni le gouvernement ni O’Connell n’ont envie d’aller plus loin ; si la chose ne dépendait que d’eux, ils en resteraient là jusqu’à la prochaine session du parlement ; malheureusement la popularité a aussi sa tyrannie, et le tout est de savoir si O’Connell, après avoir tant parlé, pourra toujours se dispenser d’agir.