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REVUE. — CHRONIQUE.

LE PARTI RUSSE EN GRÈCE.

La courte révolution qui vient de s’accomplir en Grèce mérite une attention plus sérieuse que celle qu’on paraît disposé à lui accorder. On semble généralement la considérer comme terminée ; il se pourrait bien qu’elle ne fût que commencée, et, comme les conséquences qu’elle produira seront peut-être de nature à amener de graves complications dans les relations des puissances européennes, il ne saurait être sans intérêt de rechercher les causes qui l’ont provoquée.

On soupçonne généralement que le gouvernement russe est loin d’avoir été étranger à ces évènemens. Sans vouloir chercher le dessous des cartes, ce qui est toujours un travail très problématique, il suffit d’avoir recours aux faits et aux documens écrits pour voir que les procédés acerbes de la cour de Saint-Pétersbourg ont certainement contribué à compléter la déconsidération du gouvernement du roi Othon, et à précipiter le mouvement du 3 (14) septembre. Ainsi c’est le cabinet russe qui le premier a signalé publiquement et officiellement à l’Europe le gouvernement grec comme un débiteur insolvable. Au commencement de cette année, le ministre russe remit au ministre des affaires étrangères de Grèce une note conçue dans les termes les plus durs, et dans laquelle il était dit que les trois puissances protectrices allaient prendre les mesures nécessaires pour s’assurer le paiement des intérêts de l’emprunt. Le gouvernement grec répondit en demandant de nouveaux délais, et en déclarant l’impossibilité absolue où il se trouvait de satisfaire à ses engagemens.

À cet appel pressant, presque désespéré, le gouvernement français répondit seul d’une manière bienveillante. Le gouvernement grec avait payé jusqu’en 1838 les intérêts de l’emprunt de 60 millions ; en 1838, la France avait changé le mode de paiement ; elle avait payé de ses propres fonds les intérêts, en comptant pour débiteur direct le gouvernement grec. La France seule avait agi ainsi ; c’était un témoignage de bienveillance envers la Grèce, c’était aussi un moyen d’action que nous conservions sur ce royaume. Nous y perdions de l’argent, mais nous pouvions y gagner de l’influence. Cette protection fut continuée à la Grèce, et on peut se rappeler qu’au mois de juillet dernier, le gouvernement vint demander aux chambres un crédit de 527,000 francs pour pourvoir, à défaut du gouvernement de la Grèce, au semestre échu des intérêts et de l’amortissement de l’emprunt. Néanmoins, comme les désordres de l’administration des finances grecques menaçaient de se perpétuer, et comme une plus longue tolérance eût été une duperie, le gouvernement français, tout en se résignant encore à payer, se joignit aux deux autres puissances pour imposer au gouvernement du roi Othon l’adoption de réformes indispensables.