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LITTÉRATURE ANGLAISE.

nous trouvons de tous points cette fête si semblable à une foire normande, que l’on pourrait révoquer en doute la nationalité de cette description. Voici qui, Dieu merci pour la France, est plus exclusivement irlandais. Dans un groupe d’enfans qui mendiaient au sortir de l’école, notre touriste choisit le plus déguenillé pour l’interroger. — Combien paies-tu au maître ? un penny par semaine ? — Oh ! non, pas autant ; quelque chose au bout de l’an. — Quelque chose ? Que faut-il entendre par là ! Un baril de farine ? Une charge de pommes de terre ou quelque chose d’approchant ? — Oui, répondit le petit garçon les yeux baissés, quelque chose d’approchant.

« Il avait trois frères, tous vivant chez leur mère, et du produit de son travail. Il n’avait pas d’ouvrage. Comment en aurait-il eu ? personne n’en a. Sa mère a une cabane, sans le moindre bien ; pas une perche de terre ; pas une pomme de terre. Rien que sa cabane. Comment vivent-ils ? La mère tricote des bas. Je lui demandai si elle en avait à vendre chez elle. L’enfant répondit que non. Et comment ils se tiraient d’affaire ? — Comme nous pouvons, répondit-il encore. Nous lui donnâmes trois pence. Il les prit avec une joie navrante, et courut, en sautant, les porter à sa pauvre mère. Ciel miséricordieux ! quelle histoire à s’entendre conter, presque gaiement, par un enfant qui n’en saisit même pas le côté douloureux, tant elle est simple et naturelle pour lui. Bien simple, en effet. C’est l’histoire de chacun et de chaque jour. »

Avec tout cela, une gaieté vraie, toujours prête à se répandre en vives saillies. Une mendiante demande quelque chose à un voyageur anglais de taille colossale. — Combien voulez-vous donc, ma bonne ? dit le géant. — Musha, réplique la vieille avec un regard malin, j’ai reçu tout un shelling d’un gentleman plus petit que vous. L’Anglais se mit à rire et passa sans rien donner. Molière eût jeté sa bourse et dit : Merci.

En ouvrant le second volume, une vignette avait frappé nos yeux par sa disposition singulière. Elle représente une barque montée par quatre rameurs, et qui s’offre au spectateur dans une attitude perpendiculaire, très gênante sans doute pour les passagers qu’elle ballotte. Aussi se cramponnent-ils de leur mieux au banc de proue sur lequel ils sont à peu près assis. Le tout est intitulé : Bateau de plaisir à la chaussée du Géant. Il faut lire le passage qui sert de texte à cette charmante illustration, et les raisonnemens que Titmarsh se fait à lui-même, lorsque, tournoyant au gré des vagues, il se demande pourquoi diable il est dans cette barque, où le mal de mer commence à lui travailler l’estomac, et avec ces quatre rameurs extravagans… qu’il faudra payer, au bout du compte. Vient ensuite le guide, avec le jargon de ces sortes de compagnons.

« Chacune de ces baies, monsieur… (Prenez ma place, vous serez moins éclaboussé d’écume), chacune de ces baies a un nom qui la distingue. Voici Port-Noffer, et plus loin Port-na-Gange… Ce rocher est le Stookawns (chaque rocher a aussi son nom à lui), et là-bas… (Faites place, enfans… Hurrah !