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rent, le garottèrent, puis le mirent dans un sac pour l’aller noyer dans une rivière à quelque distance. Tout en y allant, ils virent passer un lièvre, et comme ce lièvre courait sur trois jambes, ils pensèrent l’attraper facilement. Aussi posèrent-ils le sac sur la route, et les voilà partis à toute course.

En leur absence passa un conducteur de bestiaux, qui s’étonna beaucoup d’entendre Donald chanter à tue-tête dans son sac : — Pourquoi chantez-vous ? lui demanda-t-il, votre position n’est pas si belle. — Pas si belle ? répliqua Donald… Oh ho ! vous n’y entendez rien, mon compère. Savez-vous que je vais au ciel de ce pas, et que là je serai quitte de tout ennui ? — Vraiment ? dit le pasteur ; en ce cas je voudrais bien être à votre place. Seriez-vous capable de me la céder ? — Cela dépend du prix, répliqua Donald. — Eh bien ! continua l’homme aux bêtes, je n’ai pas grand argent, mais voici vingt belles vaches que je vous donnerai si vous me laissez mettre là dedans. — C’est bien bon marché, dit Donald ; mais enfin, dénouez le sac, et j’en sortirai. Ce qui avait été dit fut fait ; le vacher entra dans le sac, — et Donald mena paître ses vaches.

Hudden et Dudden, ayant pris le lièvre, revinrent à leur victime, et, sans vérifier le contenu du sac, allèrent le jeter dans la rivière, où il enfonça immédiatement. Puis ils arrivèrent chez Donald. Ils pensaient s’y installer en maîtres, quand ils virent paisiblement assis dans son pré au milieu d’un troupeau superbe celui qui la veille n’avait pas seulement un méchant veau. — Donald, lui dirent-ils, quel est ce prodige ? Nous vous croyions noyé, puis vous voilà ! — Hélas ! répondit-il, peu s’en est fallu que ma noyade ne m’enrichît à jamais. Je n’ai manqué pour cela que d’un peu d’aide. Tout ce qu’on peut voir de troupeaux et d’or monnoyé, je l’ai vu dans la rivière, et personne pour le garder. Mais tout seul, que faire ? Il a bien fallu me contenter des vaches que vous apercevez là ; pour cette fois, du moins, car j’ai bien reconnu l’endroit, et je vous ferais gagner des mille et des cents si j’en avais envie. » Ce fut alors à qui des deux lui montrerait le plus d’amitié. Après s’être un brin laissé cajoler, Donald les conduisit vers un endroit où la rivière était très profonde, et prenant une pierre : — Regardez bien, leur dit-il, où elle tombe. — Et il la jeta tout au milieu du courant. — C’est là qu’il faut que l’un de vous se lance. S’il a besoin de secours, nous sommes là pour lui prêter la main. Hudden plonge à l’instant même, va toucher le fond, et revient, à demi mort, balbutier sur l’eau quelques paroles indistinctes, comme c’est l’usage de ceux qui se noient. — Qu’est-ce qu’il bredouille ? demanda aussitôt Hudden. — Ma foi, s’écria Donald, il demande du secours. Est-ce que vous ne l’entendez pas ?… Laissez, ajouta-t-il en prenant du champ comme pour sauter, laissez-moi faire et attendez-moi là ! Je sais mieux la route que vous autres. — Mais Dudden, empressé de prendre les devans, se lança comme un fou dans le courant où il fut noyé bel et bien. Ainsi finirent Hudden et Dudden.

Nous pourrions vous faire assister, après cette histoire, à une espèce de fête irlandaise, le pattern de Croagh-Patrick ; mais en recueillant nos souvenirs,