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SITUATION DE L’ESPAGNE.

Enfin nous avons parlé de travaux publics. Il est inutile d’insister sur ce sujet qui se recommande de lui-même. Tous les rapports des voyageurs s’accordent à présenter les Espagnols comme très occupés de questions matérielles. L’émulation les a gagnés. De tous les côtés, on n’entend parler que de projets de routes, de ponts, de canaux. Le danger est qu’ils prétendent trop faire à la fois, car il paraît bien certain qu’ils veulent à toute force sortir de leur apathie traditionnelle. Nous leur recommandons surtout les routes au travers des Pyrénées. Entre Bayonne et Perpignan, Napoléon voulait ouvrir cinq grandes communications. Le gouvernement français fera certainement de son côté ce qui sera nécessaire pour réaliser le magnifique projet de l’empereur, quand il sera sûr que les voies tracées sur notre territoire se prolongeront sur le territoire espagnol. Il est difficile de prévoir toutes les conséquences que pourrait avoir sur l’avenir de la Péninsule l’ouverture de ces cinq portes, par où passeraient les richesses, les mœurs, les idées, toute la civilisation de la France et de l’Europe. Si l’on n’avait pas tant abusé du mot de Louis XIV, nous dirions qu’alors véritablement il n’y aurait plus de Pyrénées.

Mais ces merveilles ne sont réalisables qu’autant que le grand problème sera résolu, le problème d’un gouvernement. Nous venons de dire quels obstacles le succès rencontrera ; nous avons dit aussi quels moyens peuvent l’aider. À nos yeux, si les élémens d’anarchie sont puissans, les élémens d’ordre sont plus forts encore. Mais la moindre faute peut tout perdre, et le trône avec le reste. Or, si jamais le trône est renversé, tout est fini pour l’Espagne ; le principe monarchique, resté debout encore dans ce tas de ruines, est sa seule chance de salut. Nous qui avons eu le facile mérite de prévoir et d’annoncer d’avance la chute d’Espartero, nous voudrions être aussi bon prophète en annonçant que la crise actuelle peut être le salut du pays. Malheureusement il est toujours plus aisé et plus sûr de prévoir le mal que le bien. Ayons pourtant bon espoir. Ces momens où le danger est visible pour tous sont quelquefois ceux où il est conjuré le plus facilement.


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