Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.
288
REVUE DES DEUX MONDES.

pas bien loin de cette somme, même à l’heure qu’il est. Il n’en faut pourtant pas davantage pour faire face à tout, et avec une largeur inusitée.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur les diverses branches de revenu de la couronne d’Espagne pour se convaincre de la facilité d’en accroître le produit par une meilleure administration. Le tabac, par exemple, qui rapporte chez nous cent millions au trésor, rapporte vingt-cinq millions seulement en Espagne. On sait cependant quel usage font du tabac toutes les classes de la population. Le revenu des postes, qui dépasse chez nous cinquante millions, atteint à peine en Espagne cinq millions, ou le dixième. Nous citons ces deux exemples, non parce qu’ils sont les plus frappans, mais parce qu’ils sont les plus clairs pour des lecteurs français. Les tabacs et les postes sont du petit nombre des impôts qui se ressemblent dans les deux pays, et qui peuvent conséquemment prêter à une comparaison. La fraude sur ces deux articles est, dit-on, très considérable et prive le trésor d’un bon tiers des recettes. Pour ce qui est des contributions directes, ou de ce qui en tient lieu, comme elles sont perçues par les ayuntamientos, il est à peu près impossible d’évaluer ce qui se perd. On a essayé plusieurs fois de faire un relevé de la matière imposable ; on a toujours été forcé de s’arrêter, faute de renseignemens suffisans. Les élémens d’une statistique manquent absolument.

La révolution, qui a fait main basse sur tant de débris du passé, a respecté dans le système financier le monument le plus suranné du moyen-âge. On a compté en Espagne plus de cent espèces de contributions différentes. L’origine, la nature et le nom de quelques-unes de ces contributions ne sont pas moins étranges que leur nombre. L’alcabala est un droit sur les ventes qui remonte aux Maures, la cruzada est l’impôt payé pour une bulle obtenue sous Charles-Quint qui permet de manger de la viande en carême, les millones ou contributions indirectes datent de 1590 et de Philippe II, paja y ustensilios (paille et ustensiles) est une taxe sur le revenu, quelque chose comme l’income tax de sir Robert Peel, qui a été instituée en 1719, et ainsi de suite. La plupart de ces impôts, établis dans des temps d’ignorance et de despotisme, sont mal conçus, mal assis, et étouffent la production et la consommation dans leurs sources. Ils ne sont pas d’ailleurs les mêmes dans toutes les provinces. Telle portion du pays ne contribue aux charges de l’état que pour un faible don annuel ; telle autre est affranchie des droits indirects. Une foule de taxes locales, d’une origine plus ou moins féo-